Des plumes pour Najat

Par Annabel Desgrées du Loû

 

Najat Vallaud-Belkacem « fait le buzz », à ses dépens, depuis qu’elle est devenue ministre de l’éducation nationale. Après avoir eu droit à la une de plusieurs journaux,  avec des titres d’une rare violence (« L’ayatollah » , « la rééducation nationale »), le dernier sport sur internet semble être la propagation de rumeurs fantaisistes.  La ministre inviterait  les maires à mettre en place des cours d’arabe obligatoires à l’école primaire, elle s’appellerait en fait Claudine Dupont….  On attend presque la prochaine invention.

Ce  pourraient être de simples canulars de potaches, et on pourrait en rire,  si seulement toutes ces rumeurs n’allaient pas dans le même sens : c’est bien son identité, plus que son travail, qui est « la cible ». Derrière ces rumeurs, c’est  son origine marocaine qui est pointée.

Elle suscite tout à la fois inquiétude  « c’est une traitre à la patrie, le cheval de Troie de la culture arabe en France », et jalousie « c’est une opportuniste de la diversité, elle joue de cette origine».  Ainsi, dans la même semaine, on lui reproche et on lui conteste cette origine.  En plus elle cumule les raisons d’agacements : trop jeune, trop femme (parce que trop jolie ?).  Les accusations d’incompétence et de promotion canapé  étaient trop tentantes, elle n’y a pas échappé.

Classique. Vieux comme le monde  et inévitable diront certains. « Elle n’avait qu’à pas nous énerver avec ses ABCD de l’égalité » diront d’autres. Justement. Où est le lien ? Si inquiétudes il y a autour de l’éducation des enfants, peut-on laisser les potaches dominer l’actualité politique et crisper les positions ? Car le problème de ces rumeurs c’est leur rapidité de propagation, à l’heure d’internet où d’un clic chacun peut transférer le dernier message pseudo-politique reçu à tout son carnet d’adresse, moitié pour rire, moitié pour « agir ».

Le curé d’Ars  proposait en confession, comme remède contre la calomnie, de disperser au vent les plumes d’une poule puis d’aller les récupérer une à une, pour mesurer combien il est difficile de rattraper le mal qu’on a fait en parlant trop vite et trop mal. Avec internet ce sont les plumes du poulailler tout entier qu’il faudra aller rattraper. Sauf à nous appliquer à nous-mêmes les conseils que nous donnons à nos enfants lorsqu’ils reçoivent des « chaines » à transmettre : ne  crois pas  en ces messages débiles qui te disent que si tu ne transmets pas à trois personnes de ton entourage, il t’arrivera des bricoles.  Use de ta sagesse et de ton discernement. Sois courageux. Rompt la chaine.

Annabel Desgrées du Loû, membre du conseil des Semaines Sociales

6 Commentaires

  1. Coquet

    Il me semble que l’on prête davantage ce remède contre la médisance à saint Philippe Néri qu’au Curé d’Ars.

  2. Annabel Desgrees du Loû

    Il se peut en effet que le Curé d’Ars ait emprunté cette idée à Saint Philippe Néri, car il avait de bonnes lectures… en tous cas il l’a mise en pratique dans ses confessions, comme cela est raconté dans plusieurs de ses biographies.

  3. Ce n’est plus d’une attaque vile, sexiste ou raciste qu’il convient de parler. Il s’agit je crois d’un véritable fait de société, d’une décomposition des vertus républicaines d’accueil, d’intégration, de valorisation des personnes talentueuses, de respect des droits de la personne, de respect de la personne tout simplement. La dégradation de la fonction présidentielle, de l’image des personnels politiques, la contestation systématique des règles du jeu, de l’impôt, la triche aux portillons de métro comme à la déclaration de peronnel, tout cela porté par un écho médiatique obsédant… on finirait par se demander s’il s’agit d’une entreprise préméditée, d’un plan occulte des forces du mal. Oui, ces phénomènes mériteraient un peu d’analyse. Il n’y a donc pas de journalistes d’investigation sérieux dans ce pays?

    François, antenne sociale de Lyon

  4. JPR

    J’aime beaucoup Philippe Neri, qui aimait tant rire et chanter et a réussi, sans vociférer, à participer au grand nettoyage de la Ville sainte qui était devenue une insulte à Dieu au point que l’on disait à l’époque : « plus on approche de Rome, pire sont les chrétiens ».
    Mais c’est la Rome chrétienne qu’il a réformée. Pas toute la société du temps.
    Ici, c’est un peu pareil : si les médias ne peuvent pas s’abstenir d’aller au plus scandaleux pour courir à l’audience, au moins nous, chrétiens, retenons-nous. Comme le recommande Annabel : soyons courageux !

  5. TAALBA

    Avant Najat Vallau-Belkacem, rappelez-vous, Christiane Taubira a encaissé dignement des propos inimaginables. Ces charges racistes dont elles sont victimes, ne sont qu’un épisode intolérable de plus dans la longue série des violences faites aux femmes politiques. Cela révèle le niveau de ceux qui les propagent, et, surtout, leur impuissance à affronter sereinement les débats. Rappelez-vous la vague de haine à l’encontre de Simone Veil, lorsque, en 1974, elle présente son projet de loi sur l’IVG. Et Edith Cresson, lorsqu’elle devient, en 1992, la première femme Premier ministre. Que n’ont elles entendues sur leur compte de la part d’hommes politiques dans l’enceinte même de l’Assemblée nationale ? Que n’a-t-on écrit à leur sujet ? Dès que les mots « femme » et « politique » sont accolés, la « crassitude » la plus abjecte n’est jamais bien loin. Remémorez-vous l’élégante exclamation de Laurent Fabius : « Mais qui va garder des enfants ?! », lorsque Ségolène Royal s’est engagée dans la primaire PS pour la présidentielle de 2007. Univers impitoyable. C’est d’autant plus révoltant quand l’exemple vient de ceux que nous élisons. Ce n’est pas qu’une question de niveau d’éducation ou d’instruction, hélas. « La bêtise humaine est la seule chose qui donne une idée de l’infini. » Ernest

  6. Prune

    L’histoire des plumes est belle.

    Pour avoir rencontré Najat V.B avec un collègue dans le cadre d’un engagement associatif, avant qu’elle ne devienne ministre, alors qu’elle présidait avec Arnaud Monthubert la commission du PS autour de la révision de la loi de bioéthique, en 2011, je me suis fait une opinion antérieure au déferlement médiatique et sur internet qui n’épargne aucun homme ou femme politique.
    Nous avons été remarquablement écoutés par Najat V.B. Mais, curieusement, alors que le groupe PS Terra Nova préconisait aussi, pour des raisons proches et différentes à la fois de la nôtre, la désanonymisation possible des donneurs de gamètes, en cas de demande de la personne conçue par don, à sa majorité, le rapport final de la commission du PS a préconisé tout le contraire. Que s’était-il passé entre temps?

    Savoir discerner, certes, pour ne pas se laisser prendre dans la déferlante destructrice qui atteint toutes les personnes en situation de responsabilité, à une heure où tout un chacun et toute une chacune peut s’exprimer comme il l’entend, et être lu partout.

    Mais aussi savoir discerner pour analyser le pourquoi du comment de décisions qui ont de l’impact sur tous. Comme dans une dictée, où est l’erreur en politique ? Et est-ce systématiquement la même erreur qui revient?

    Maintenant que Najat V.B a la responsabilité du ministère de l’Education nationale, souhaitons-lui de continuer à écouter, en veillant d’abord à rehausser le niveau de l’instruction en France.
    Apprendre prioritairement aux élèves -toutes appartenances et orientations confondues- le poids du langage dans la vie relationnelle, personnelle et professionnelle.
    Cela peut coûter vraiment très cher aux écoles, universités post-bac, ou entreprises, de devoir mettre en place des ateliers d’expression orale ou écrite, pour enseigner les règles de la communication comme la différence entre l’intention qui est la mienne et l’impact sur l’autre, pour apprendre les règles du participe passé aussi, ou encore la différence entre langage familier et langage soutenu.
    Il y a une vraie urgence.
    Je me souviens d’un cadre d’entreprise me confiant en entretien ceci : »ce qui me bloque dans mon évolution professionnelle, c’est que je n’ai pas les codes de langage. » Il avait raison. Ou de cette étudiante dans une école de travail social me disant à l’issue d’un exercice d’écriture libre : »Vous voyez, même pour ça, je n’arrive pas à écrire dix lignes. »
    Observant qu’elle avait, par ailleurs, du mal à respirer, je lui ai répondu: « vous voulez dire que ça ne respire pas ? Nous allons tous ensemble faire respirer vos trois phrases, en donnant de la vie à chaque élément. » Et tout le groupe d’étudiants s’y est mis.

    Les critiques proférées sur une personne parlent toujours davantage de nous-même, de nos représentations, de nos peurs ou manques, de notre humaine incomplétude, que de la personne en question. Ce sont des choses qui, malheureusement ne s’apprennent pas suffisamment à l’école.

    Et puis, prenons justement le terme d’égalité. Écrivons chacun une histoire « il était une fois », en lien avec ce mot. Exercice facile pour démontrer que le langage est pluriel à cause de nos représentations plurielles.
    Et si je dis ABCD, vous voyez quoi? Un truc d’enfant aussi simple que les lettres de l’alphabet? Le pire moment de votre vie, avec cette instituteur qui vous faisait pleurer ? Le début de quelque chose ? La méthode syllabique versus la méthode globale? Le caractère obligatoire de l’école ? Une injonction ou le bonheur d’apprendre?

    En joignant ces deux termes, le premier qui renvoie à l’école et le second à une valeur républicaine, c’est tout un programme encore plus complexe.
    Pas étonnant que chacun, chacune y aille de sa réaction épidermique ou réfléchie, enthousiaste ou désespérée. Dis moi ce qui t’a construit/e….

    Lire, écrire, compter sont des verbes d’action, sans référence à des valeurs. Tout le monde comprend les verbes d’action; c’est comme boire, manger, et dormir. Et pourtant, tout le monde ne sait pas ou ne peut pas le faire. La mission d’égalité est là.
    As-tu besoin du même sommeil que moi ? Des mêmes ingrédients ? De sucré ou de salé? Évidemment que non. L’égalité est très inégale. On devrait même dire « abcd de l’inégalité » pour tendre davantage vers une plus grande justice et entente. Quand je lis « abcd de l’égalité », je peux croire que c’est vrai et que ça marche. Or, c’est archifaux dans le fond.
    « Il n’y a plus ni ceci ni cela ni ceci cela… » Vous connaissez la phrase biblique. C’est au terme de toute une vie qu’on peut sans doute se le dire vraiment.
    Quand j’accompagne des adultes dans leur travail d’écriture, si je ne les voyais pas chacun comme différent du voisin, ils progresseraient peut-être à la baguette, mais pour combien de temps? C’est leur histoire personnelle qui m’indique la marche à suivre. Texte libre ? Étrange, les deux voisins ont raconté la même histoire avec des émotions proches : repartir en avion au pays et les retrouvailles. Après, on entre dans les complications : expliquer ce que signifie « idéaliser », ou bien « être en dette », et après on établit la liste de tous les mots de la même famille, et comme il reste un peu de temps, qui connaît l’origine du mot « tarmac »? La voisine n’a pas employé ce terme. D’où le voisin le tire-t-il? Valorisation de quelqu’un qui n’a pas une bonne image de soi puisqu’il est « nul en français ». Représentation héritée de l’école de ce que peut être la nullité. L’heure est finie. Déjà ? Tristesse. Je vais rencontrer d’autres adultes qui parlent une langue de bois, celle de leur métier de haut niveau, à laquelle je ne comprends vraiment rien. Des équivalents de ministrables. Et quand ils sortent de cette langue de bois, on va le leur reprocher. Repérer le morceau de phrase qui se la joue, qui détonne, qui coince, qui revient. Bref, la seule chose que tous comprennent comme « moi,président » par exemple. Et là, sidération totale. Un ancien va faire un cours de Français aux Français qui l’écoutent, comme ils ont écouté l’actuel, c’est-à-dire pas tout le monde. Il va parler d' »anaphore ». C’est reparti, mon kiki. Langage familier. Au prochain atelier d’écriture, tu vas demander à « tes » étudiants, tes étudiants que tu partages avec d’autres -idiote appropriation que permet le possessif- : « c’est quoi, au fait, une anaphore? » Cela leur fera une belle jambe de le savoir pour rédiger leur mémoire de fin de formation en travail social. Alors, tu vas changer ta question et dire : »récemment, j’ai entendu le terme d’anaphore. Il est bien compliqué même s’il évoque quelque chose d’extrêmement simple. Dans ce livre de sociologie, parfaitement incompréhensible que vous avez sous la main, quels sont les termes incompréhensibles qui vous empêchent de le lire? Et savez-vous pourquoi certains emploient des termes incompréhensibles par le plus grand nombre? » Je ne répondrai surtout pas aux questions que je pose. À mon bonnet seulement. C’est parce que ces gens-là sont plus égaux que d’autres. Donc, si vous voulez être à part égale avec les plus égaux, ces termes, on va apprendre à les utiliser. Nous aussi.

    L’enseignement à la française n’est pas assez pragmatique. La politique à la française non plus. Du bon sens. Un peu plus de bon sens, s’il vous plaît.

    Bonne chance, Najat ! J’ignore ce que signifie ce prénom mais ses sonorités sont très belles, comme l’histoire de la plume.

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