Par Jean-Pierre Rosa
Le rapport D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité remis au gouvernement le 8 avril 2015 n’a pas suscité dans la presse un engouement particulièrement fort. Pourtant le sujet est d’une grande actualité. Les rumeurs qui agitent les milieux financiers, faisant craindre un nouveau krach mondial de l’économie et des monnaies incitent à explorer les pistes, sinon alternatives au moins complémentaires de vivre et d’organiser l’activité humaine et les échanges, à l’abri, si possible, des spéculations mondiales et de la rage de gagner toujours plus, quel qu’en soit le prix social ou environnemental.
Or les monnaies locales, telles qu’elles sont définies aujourd’hui dans l’article 16 de la loi de juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire, cumulent trois signes distinctifs porteurs d’avenir. Tout d’abord ces monnaies, arrimées à l’économie sociale et solidaire, sont fortement territorialisées. Elles privilégient les circuits courts, favorisant ainsi l’intégration des demandeurs et des offreurs locaux. Ensuite elles ont pour principe de favoriser les échanges au détriment de la conservation et de la concentration de la richesse. L’idée de monnaies « fondantes », c’est à dire de monnaies qui perdent de la valeur à être thésaurisées est au centre de bien des dispositifs. On constate d’ailleurs que la circulation de monnaie locale croit en temps de crise. Enfin leur caractère associatif les rend spontanément porteuses de citoyenneté. Elles visent et réussissent à faire émerger de nouvelles relations entre les différents partenaires des échanges. Bref, elles sont, comme le souligne le rapport – dont une version remaniée et augmentée est parue récemment[1] – à l’exact opposé du sulfureux « bitcoin », apatride et anonyme, qui jouit de l’effet Internet mais ne repose sur aucune adhésion territoriale, aucune association transparente, aucune citoyenneté. Bien sûr elles sont nombreuses et foisonnantes comme le souligne le rapport du Conseil économique social et environnemental, paru à la même époque, mais c’est justement cette souplesse, cette adhésion à un territoire et à une communauté vivante qui, loin de les affaiblir et de les rendre illisibles, fait au contraire leur force. En un mot elles incarnent, au niveau monétaire, les vertus de la démocratie issue de la base face à la toute puissance de monnaies de plus en plus mondialisées qui fonctionnent hors sol, loin de l’économie réelle et de tout contrôle démocratique. Il s’agit désormais de suivre, voire de susciter, les innovations monétaires pointées par le rapport, qui peuvent représenter des leviers importants d’émancipation sociale en matière de développement local, de formation professionnelle, de micro entrepreneuriat ou de développement écologique. Ces monnaies locales, très souvent liées au réseau coopératif maillé issu de la révolution numérique, permettent de tirer le meilleur parti de l’Internet. Et d’offrir une forme de résistance à l’impérialisme de l’argent.
[1] Christophe Fourel, Jean-Philippe Magnent, Nicolas Meunier, D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité, collection « la bibliothèque du Mauss », le Bord de l’eau, Paris, 2015
Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog
Image: Pierre Volpi