Accueil des migrants et principe de dignité

Tous les 15 jours, retrouvez Pierre-Yves Stucki et sa chronique sur la pensée sociale et l’actualité, au micro de Paul Keil sur Radio Jerico.

A partir de la chronique du 11 octobre 2016.

Pour démanteler la jungle de Calais, le gouvernement a décidé de répartir les migrants à travers toute la France. La consigne a donc été donnée aux préfets de prévoir l’hébergement de 12 000 migrants d’ici la fin de l’année.

Il y a 66 millions d’habitants en France. 12 000 migrants, cela représente 0,01% de la population. Il y a 36 000 communes en France. Accueillir 12 000 migrants revient à accueillir en moyenne un migrant pour 3 communes.

Objectivement, ces chiffres sont dérisoires. Et pourtant, cette perspective suscite de très fortes crispations. Les pétitions et les réunions publiques houleuses se multiplient à travers la France, initiées par des riverains inquiets, quand ce n’est pas par les élus eux-mêmes.

On peut bien sûr contester ce choix gouvermental, reprocher la méthode, s’étonner de la précipitation soudaine à régler un problème ancien à quelques mois de la présidentielle, dénoncer le manque de concertation et les localisations choisies sans associer les Maires.

Mais les propos tenus traduisent hélas plus souvent une indifférence, voire une hostilité, aux migrants eux-mêmes. Sur les réseaux sociaux, ils se voient ainsi qualifiés en bloc, sans nuance, de violeurs, de parasites venus profiter de notre protection sociale (tout en voulant en même temps partir en Angleterre) voire d’infiltrés djihadistes. Et que dire des tentatives d’incendie qui se déclarent sur les futurs sites ?

Il existe aujourd’hui une réticence, désormais profonde, à l’idée même d’accueillir des migrants. Et sur cette question où l’Église s’engage de manière forte, elle suscite des oppositions au sein même des chrétiens. Jean-Paul II s’en inquiétait déjà en 1996 : « Le problème est de savoir comment associer à cette œuvre de solidarité les communautés chrétiennes souvent gagnées par une opinion publique parfois hostile envers les immigrés » écrivait-il.

Or s’il y a bien un sujet sur lequel la doctrine sociale est d’une constance absolue et dans une continuité parfaite avec l’Écriture, c’est l’accueil et la solidarité envers l’étranger : depuis l’expérience du peuple hébreu – parce qu’il a lui-même été un étranger au pays d’Egypte – jusqu’à l’instruction Erga migrantes caritas Christi en 2004 qui est le document de référence sur les migrations, en passant par Jésus qui rappelle qu’au dernier jour, c’est, entre autres, sur l’accueil de l’étranger que nous serons jugés.

Mais revenons-en à Calais. Ce dont il est question, ce n’est pas d’accueillir « toute la misère du monde ». C’est de mettre un terme à une situation scandaleuse aussi bien pour les migrants que pour les habitants. Il s’agit de trouver le moyen héberger décemment des personnes, afin d’étudier leur demande, d’accorder le statut de réfugié à ceux qui en remplissent les conditions, et de reconduire à la frontière ceux qui ne seront pas régularisés, comme cela s’est fait, depuis janvier, pour 1 470 migrants à Calais.

Dans cette perspective, il faut rappeler un principe central : la dignité humaine, qui est inaliénable, même si le migrant est en situation irrégulière. « La situation d’irrégularité légale n’autorise pas à négliger la dignité du migrant, qui possède des droits inaliénables, qui ne peuvent être ni violés ni ignorés » écrit Jean-Paul II. Et même si un migrant a commis des délits, il reste une personne et garde sa dignité. Jean-Paul II, toujours lui, rappelle dans Evanglium Vitae que Caïn lui-même, alors qu’il vient de tuer son propre frère et de mentir à Dieu, « garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant. ».

Le principe de la dignité humaine s’oppose radicalement à un argument qu’on entend trop souvent : les « clandestins » n’ont aucun droit, sinon d’être renvoyés chez eux.

Mais la doctrine ne s’oppose pas au droit des États à contrôler l’accès à leur territoire. Elle ne s’oppose pas par principe à la reconduite aux frontières des personnes en situation irrégulière. Mais les conditions de rétention puis de reconduite doivent respecter leur dignité – a fortiori avant même que leur situation soit étudiée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui à Calais, ni dans d’autres camps de fortune, en raison des conditions d’hygiène, de la violence, de la prostitution ou du trafic de migrants.

C’est pour cela qu’il est nécessaire de réorganiser l’accueil des migrants – tout en sachant qu’il n’y a aucune solution miracle. Mais cela suppose que les citoyens eux aussi acceptent de se sentir solidaires des migrants. Comme l’écrivait encore Jean-Paul II : « Le problème des migrations en général, et des migrants en situation irrégulière en particulier, est un problème dont la solution dépend dans une grande mesure de l’attitude de la société où ils arrivent. »

Pierre-Yves Stucki

(Illustration : malachybrowne
sous licence CC BY 2.0)

4 Commentaires

  1. Roussel jean claude

    Il y a les réfugiés, et nous devons en tant que chrétiens et hommes dignes de ce nom, les accueillir, les aider. Il y a les migrants…et ce n’est pas la même réalité, c’est à juger quasiment au cas par cas selon des critêres de dignité, et les possibilités réelles d’accueil et intégration.
    Pour le reste, et en particulier l’instrumentalisation de la doctrine sociale de l’église, n’en rajoutons pas quant au triste débat français, qui oppose les hypocrites pharisiens du christianisme social ramené à la haine obsessionnelle du Front National , à l’abolition des frontières et des nations, à l’accueil de toute la misère du monde, payé par la dette…..et les catholiques ordinaires soucieux de vérité, de sagesse, qui n’hésitent pas à compter tous les enfants à naïtre parmi les « réfugiés » à accueillir, là où nos pharisiens, de gauche avant d’être chrétiens, sont d’un silence assourdissant et d’une totale absence..
    Les chrétiens critiques et sociaux ont voté pour « Moi, président, JE »…..ils récoltent ici en tout domaine ce qu’ils ont semé…., eux qui n’ont que le dialogue à la bouche, n’hésitent pas à devenir racistes à l’égard de ceux qui osent ne pas penser comme eux, rejetés comme « tradis », réacs, etc…alors, un peu de pudeur dans votre usage permanent de l’ éthique.

  2. Sophie

    Tout à fait d’accord avec Jean-Claude : si l’on parle de chiffres et d’urgence l’avortement est la première cause d’indignité et de mortalité en France (1 enfant avorté pour 3 naissances) et ces « migrants » ont d’abord droit à la dignité humaine (embryon humain faut-il le rappeler) et à l’accueil.
    Jean-Paul II a toujours défendu cela.
    Quant aux « migrants » de Calais qui sont clandestins, appliquons la loi comme elle est appliquée sans concession dans tous les autres domaines pour les français. Et une bonne fois pour toutes qu’on arrête les trafics en tous genres dans ce pays qui se prétend patrie « des droits de l’homme ».

  3. Jean-Pierre

    « Dans une époque où les distances et les frontières s’effacent devant la mondialisation économique et culturelle, notre volonté de solidarité ne peut pas s’enfermer dans le cadre restreint de notre pays. Les événements dramatiques qui frappent les populations du Moyen-Orient ou d’Afrique jettent sur les routes et sur la mer des centaines de milliers de réfugiés, véritables naufragés humains. Quand la Jordanie et le Liban reçoivent des millions de réfugiés, comment notre pays pourrait-il reculer devant la perspective d’accueillir et d’intégrer quelques dizaines de milliers de ces victimes ?

    Mais plus largement que l’accueil des réfugiés, nous devons nous interroger sur la manière dont nous traitons des migrants arrivés dans notre pays depuis plusieurs années. Est-il aujourd’hui tolérable que des milliers d’hommes de femmes et d’enfants vivent sur notre territoire dans des conditions trop souvent inhumaines ?

    Une volonté d’intégration ne peut se réaliser sans accompagnement des ruptures culturelles. La seule recherche de solutions économiques est vouée à l’échec si rien n’est entrepris pour la promotion culturelle, promotion d’une culture enracinée, qui donne ou redonne le sens d’une vie collective nationale. » Les évêques de France

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