Par Armel Mouloungui
La gestion durable des ressources naturelles est devenue une option incontournable dans toutes les politiques de développement. Par exemple au Gabon, ce mouvement global se traduit par d’importantes mutations institutionnelles, avec notamment l’adoption d’un nouveau code forestier et la création d’aires protégées.
Cette vague écologiste a également vu l’émergence de nouveaux acteurs dans le secteur forêt. Aux acteurs traditionnels s’ajoutent les ONG internationales, organismes de coopération, bailleurs de fonds pour faire de la forêt un objet de relations internationales. Cette constellation d’acteurs aux ambitions parfois divergentes a ainsi fortement contribué à une nouvelle dynamique des politiques, faisant de ce pays un bon élève, précurseur de la gestion durable des forêts en Afrique. Pourtant, l’histoire de la gestion forestière révèle une évolution de la perception et de l’usage même des ressources qui mérite d’être plus nuancé sur le caractère durable des actions.
Si la nouvelle loi forestière a rendu obligatoire l’aménagement des espaces concédés et ouvert la voie à une gestion communautaire des forêts, le système de gouvernance souffre encore d’une faible participation de tous les acteurs, en particulier des habitants. D’une part, l’État, propriétaire exclusif des forêts assure l’administration des ressources sans en assurer l’exploitation ou la mise en valeur des territoires. D’autre part, fort de leurs potentiels économique, technique et politique, les ONG internationales occupent le terrain et inspirent les politiques conçues. Véritables couteaux suisses elles interviennent à la fois comme experts auprès de l’État, bailleurs de fonds internationaux, négociateurs lors des grandes conférences internationales, ou encore comme acteurs de terrain et promoteurs d’une société civile locale. Leur influence est telle que certains auteurs parlent d’ingérence écologique ou d’États forestiers sous tutelle de puissantes ONG sous la botte de grandes puissances occidentales (Rossi, 2001).
A l’approche de la COP21, rendez-vous au cours duquel les États souhaitent faire un grand pas pour le climat, les ONG internationales restent des acteurs incontournables dans les négociations. Si la nécessité de leurs actions sur le terrain ne saurait être remise en cause, leur intégration dans les systèmes de gouvernance dans les États forestiers mérite une attention particulière. Certes les États forestiers, à l’image du Gabon, trouvent en ces nouveaux acteurs dominants des alliés efficaces, mais le grand perdant dans cette gouvernance demeure la population locale, dont les pratiques culturelles ancestrales peinent à se trouver une place dans les pratiques en vigueur.
Armel Mouloungui, Docteur en géographie, université d’Orléans
Un article intéressant dans ce débat d’écologie et de taxe carbone. Il nous éclaire sur le fonctionnement de notre système local en matière de gestion de Forêt.
Continuer.
Bravo pour ainsi mettre l’accent sur le champ socio-politique de la gouvernance des forêts, là où de trop nombreux acteurs se limitent au champ technique (technocratque ?) de l’aménagement et de la gestion des forêts.
Mais il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin en se concentrant sur cette cible assez facile et en réalité superficielle que forment les ONG internationales de conservation de la nature, ou plus généralement, les ONG internationale qui participent à l’aide publique au développement (APD) !
(à leur sujet : voir ce très éclairant extrait d’une conférence de Arundhati Roy https://www.youtube.com/watch?v=HLlEFYssN0g)
En effet, ces ONG internationales sont bien souvent de simples cautions utiles aux acteurs déterminants qui interviennent derrière elles, d’autant plus utiles qu’elles occupent l’espace au détriment des acteurs locaux, qui sont évidemment plus légitimes mais aussi potentiellement plus radicaux – donc dérangeants pour ces acteurs déterminants qui veulent continuer de pouvoir décider en comités restreints.
Or vous ne traitez pas beaucoup de ces acteurs déterminants ?
L’état lui-même (Gabonais en l’occurence) semble être évoqué bien rapidement, et peut-être de manière un peu angélique ? (« nouvelle dynamique des politiques, faisant de ce pays un bon élève » ?)
Quant aux « populations locales », qui semblent en effet être les « perdantes » de la gouvernance rurale en Afrique Centrale et au Gabon en particulier : ne faudra-t-il pas un jour interroger plus en profondeur ce concept très à la mode de « population locale », en se demandant s’il est pertinent et efficace dans les débats et surtout dans la pratique, dès lors qu’on le confronte aux questions de citoyenneté, de décentralisation, d’élus locaux, d’aménagement du territoire, de juridictions démocratiques et administratives, de personnes morales juridiques, de fiscalité, de droit foncier etc. ?
(si intéressé par mes idées sur la question, voir https://independent.academia.edu/RomainCalaque)
Bref, il y a beaucoup de grains à moudre, et les ONG internationales ne sont peut-être pas les les grains les plus intéressants !
😉
Merci pour votre contribution.
Je partage votre point de vue sur les ONG internationales. Si cet article semble donner la part belle à l’Etat, il n’a pour but principal que de donner un aperçu de la dynamique des acteurs. Une autre article en cours montre que les relations entre l’Etat et les autres acteurs constitue une stratégie de pouvoir qui fait de la forêt gabonaise une véritable « jungle internationale ». L’Etat est le propriétaire exclusif des espaces, avec des moyens de gestion et de mise en valeur « limités ». Il ambitionne une diversification de son économie et la forêt se présente comme une réelle opportunité relayée par les ONG internationales de protection de la nature.
Les ONG internationales sont des acteurs ayant une capacité d’action considérable. Là où d’autres parlent d’ingérence écologique, je voudrais suggérer la notion d’hybridation institutionnelle, qui offre une relation de Gagnant à gagnant entre Etat/ONG. Ma thèse donne plus d’explications sur le concept. (https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01004403/document)
Si les ONG accroissent leur influence territoriale dans un espace stratégique (bassin du Congo), l’Etat trouve en leur présence un allier, un gage de gestion démocratique des ressources, mais aussi un capteur de fonds jugé crédible pour les instances internationales. Dans un article à venir, plus fourni, je voudrais démontrer que l’Etat n’est pas aussi victime que l’on veut bien le présenter et que dans le concert des politiques internationales de l’environnement (forêt), le réel perdant est la population locale.