Par Blandine de Dinechin
Une enquête de l’Union nationale des Associations familiales sur l’« être père » montre que s’investir comme père est une réalité appréciée. Ils pensent donner des limites, offrir un cadre, favoriser l’épanouissement de leurs enfants et les aider dans la construction de leur avenir. 55% estiment agir de la même manière que la mère vis-à-vis des enfants. 75% se savent cependant entravés dans l’exercice de leur paternité du fait de leur activité professionnelle. Paradoxal : ils n’ont pas adapté leurs contraintes professionnelles à leurs contraintes familiales, alors que, selon eux, le plus important pour être un « bon père » est de passer du temps avec l’enfant.
Sur le terrain des entretiens de conseil conjugal et familial que je pratique au jour le jour, on retrouve ces aspects. Mais la plainte de femmes sur l’engagement de leur compagnon dans la paternité continue. « Qui a pris rv avec le proviseur ? C’est moi ! » « Qui l’a accompagné chez le médecin ? C’est moi ! » Et quand la famille est recomposée : « Je ne comprends pas pourquoi tu ne t’occupes pas de TON fils ! » Les pères sont souvent présentés comme se réservant le ludique avec l’enfant plutôt que le dialogue avec l’intervenant scolaire ou médical. Il leur est aussi reproché de dire oui, quand la mère a dit non. Nous rencontrons aussi des pères angoissés, quand un fils de 12 ans ne rentre pas à la maison le soir ou qu’une fille ne dit pas où elle se trouve. Ainsi, tandis que les adolescents envoient en moyenne 435 SMS par semaine, un jeune va se plaindre, en entretien familial, d’un « père harceleur par texto jusqu’à ce qu’il réponde ». Combien de fois la mère a envoyé auparavant un texto au père, pour qu’il aille aux renseignements ? Les parents divorcés maintiennent, eux aussi, beaucoup de relations écrites autour de l’enfant qui sort du nid. Serait-il plus simple aujourd’hui d’être père que conjoint ?
Les pères, pour le devenir ou le rester, ont besoin de plusieurs laissez-passer : parental pour que l’« être père » ne leur semble pas insurmontable à cause de leur vécu antérieur, sociétal pour que leur activité professionnelle les retienne de manière équilibrée et que l’Etat ne prenne pas trop les manettes sauf en cas de défaillance grave, familial pour que le père ne se limite pas à être un copain de jeu tandis que la mère va accomplir les tâches relationnelles avec les autorités extérieures et les tâches domestiques familiales. Trop de femmes estiment encore les pères comme peu capables de la fonction paternelle, projetant parfois sur l’ « être père » leur insatisfaction dans la relation de couple, leur insatisfaction face à la pression professionnelle subie et/ou leur besoin de dominer en famille.
Tout ceci est un peu caricatural pour faire saisir que l’égalité prônée entre homme et femme dans la fonction parentale n’existe véritablement que sur un plan : les parents, père ou mère, se montrent démunis face aux réseaux sociaux fréquentés par 80% des jeunes. Et pour ceux qui ont tendance à redevenir des ados quand leur enfant le devient, ils risquent d’entendre, comme en entretien : « Je ne sors pas en ce moment car je préfère tenir compagnie à mon père qui va mal. » La nouveauté du moment est que des enfants parentalisés prennent parfois rendez-vous pour leurs parents, devenus comme des frères de galère pour eux dans la recherche de travail comme dans l’équilibre personnel. On peut envisager que la crise économique rapproche les générations et enlève à l’« être père » une part de son amidon .
Blandine de Dinechin, conseillère conjugale
« 42 % des pères de plus de 50 ans déclarent qu’ils élèvent leurs enfants « totalement différemment » de la façon dont leur père les a élevés contre moins de 38 % des moins de 50 ans. » A mon avis, la grande nouveauté de l’enquête est là : les pères plus jeunes pensent de moins en moins à changer. Pourquoi ?
Et si, n’en déplaise aux féministes et aux paritaristes, c’était parce que le changement pour le changement, c’est à dire l’alignement de la fonction paternelle sur la fonction maternelle avait déjà eu lieu – au moins en partie – et que, globalement, cette façon de comparer les temps et les occupations des uns et des autres était vue comme un échec ? Ou tout au moins une impasse ?
Il est curieux que personne n’ait dit qu’un bon père était l’homme qui aimait la femme de ses enfants. Mais est-ce si étrange ? Une telle réponse était-elle formulable vu les questions posées, leur orientation sur le fameux partage des tâches entre hommes et femmes ?
Vieux jeu de trancher ainsi la question ? Je ne le crois pas. La question de la parentalité reste intimement liée, quoiqu’en pense Irène Théry http://latribunedessemaines.fr/le-demariage-et-la-famille-demonter-le-systeme-thery-i/ à la question de la conjugalité.
Vous êtes étonné qu’on ait oublié qu’ « un bon père est l’homme qui aime la femme de ses enfants ». Lapsus ? Il peut arriver que des mères soient trop collées à leur/s enfant/s. Mais au point d’en devenir la femme? Oublions donc.
Vous semblez aussi fustiger féministes et paritaristes, et prolongez votre interrogation pour évoquer le « fameux » partage des tâches.
Qu’aurait-il de « fameux » ce partage des tâches, sinon le fait qu’il semble parfois encore assez mal vécu par des pères, quand il est pratiqué ?
Pourquoi cela gênait-il un père, accueilli en entretien, d’acheter et de porter du papier toilettes sous le bras dans la rue, et pourquoi trouvait-il normal d’en voir sous le bras de la mère de leurs enfants petits, qui en avaient besoin ? Le P.Q est-il achetable uniquement par des mères ? Entendre ce père rire de lui-même, en entretien, était le signe d’une prise de conscience possible qu’un fonctionnement n’était pas immuable.
Je ne sais pas pourquoi vous servez des « -ismes » comme « féminisme » ou « paritarisme », là où le terrain s’en passe souvent. La vie concrète des personnes mérite juste qu’on s’attarde à leurs récits pour compléter des chiffres fournis par des études. Et parfois pour aller très modestement un peu plus loin que ces chiffres.
L’ « être père » peut être une valeur-refuge idéalisée et bien compréhensible face à un monde du travail assez impitoyable, par les temps qui courent : c’est plutôt sur ce point que j’attirais l’attention. Et je peux même rajouter, pour l’avoir entendu ces derniers temps, que des pères comptent parfois beaucoup sur leurs propres mères, quand ils doivent exercer leur fonction paternelle. Il n’en reste pas moins qu’ils peuvent avoir la vie assez dure et que les consolider en entretien dans cette fonction paternelle qu’ils exercent est aussi une relative nouveauté.
Oui, vous avez raison de relever le lapsus : un bon père est donc l’homme qui aime la mère de ses enfants !! (Promis, j’en remettrai une tranche pour détecter l’origine !). Mais je reste persuadé, en regardant les chiffres et en regardant autour de moi que cette voie, aujourd’hui surtout pour les jeunes, est la bonne.
A partir de là, il me semble que la question de la répartition des tâches, même si elle est nécessaire, devient relative.
Certes la pression sociale, patriarcale, reste en effet le frein majeur à toute évolution. Mais j’ai vu aussi le contraire : des pères assistant à toutes les réunions préparatoires à l’accouchement de leur femme avec leur femme et ne supportant pas qu’elle puisse vouloir être seule avec d’autres femmes dans la même situation qu’elle !
Entre reproduction crispée des stéréotypes et disparition fantasmée des différences, la voie de l’amour conjugal me semble rester robuste !
Il faut le dire parce que ce n’est pas le discours dominant. Ce n’est pas pour rien que je citais Irène Théry. Je vois trop de personnes s’engager en toute bonne conscience sur cette voie sans entendre la demande de leur enfant, impossible peut-être à satisfaire mais réelle tout de même : j’ai besoin de vous deux et que vous vous aimiez.
Je suis votre débat et j’ai aperçu un reportage cette semaine sur le développement de la coparentalité sans conjugalité. Je n’y avais jamais trop pensé et le reporter était amené à faire des parallèles entre cette situation et les couples divorcés. Avec une affirmation sur le sentiment de ces enfants élevés par des parents qui ne semblaient pas s’aimer du tout mais heureux de co-élever des enfants. J’ai entendu cette phrase d’un psychologue: l’important pour l’enfant n’est pas tant de savoir si ses parents s’aiment ou se sont aimés mais s’il a été désiré. Voilà c’est un témoignage. C’est un fait que dans le divorce les enfants ne demandent pas toujours aux parents de s’aimer encore. A suivre…
À suivre, en effet !!!
La prévention des ruptures familiales, à ne pas confondre avec les séparations conjugales, la promotion du respect des personnes dans leur diversité et leur droit à l’égalité, la promotion du respect de leur intimité (en particulier pour les jeunes, les personnes âgées et les personnes handicapées) sont au travail à la Direction générale de la Cohésion sociale.
Du côté des Caisses d’allocations familiales, le soutien à la parentalité, sous toutes ses formes, dont celle évoquée par Denis Vincquier, est mis en avant.
Vous pouvez découvrir « le livret des parents » sur le site de la CAF et du Ministère des Familles. Sauf erreur de ma part, on y trouve le terme de « future mère », les expressions « la personne qui partage sa vie » ou « l’autre parent », le terme de « parents » également.
Le terme de « père » ne figure pas dans les seize pages de ce livret d’information.