Par Philippe Segretain
Refonder la nécessaire dignité de chacun, préalable à l’accueil de l’égalité, au combat pour la liberté, à l’invention quotidienne de la fraternité, belle dynamique dont Paul Ricœur nous a rappelé et la nécessité et le potentiel. Mais l’horreur de gestes d’hommes libres, d’hommes qui se montrent au meilleur niveau de maitrise des outils de communication pour mettre en valeur leur crime abject permet-elle de poursuivre ce combat pour l’égale dignité ? La tentation de l’application de la loi du talion est immédiate : celui qui refuse et les conquêtes de notre histoire, et le consensus établi sur notre territoire, la France, l’Europe, peut-il encore y vivre ? Et la simple affirmation de la supériorité de nos valeurs suffit-elle à nous défendre de l’agression dont la prégnance, la proximité, la fréquence, la violence est plus forte tous les jours ? Le terroriste a déjà gagné : il a décalé la problématique et il nous pousse à nous mettre à son niveau.
Et puis notre questionnement sur la réponse appropriée est nourri de doutes : doute immédiat : la réponse par les valeurs a-t-elle intégré les mutations numériques ? Doute plus profond : nous avons entendu cet écho de divisions passées qui ont structuré notre pensée politique : la rencontre a été douloureuse entre ce qu’a pu penser la majorité des français, en 1940 comme au début des « événements » d’Algérie, et les consensus politiques dont l’histoire a accouché. Alors nous sommes tentés de douter de la possibilité pour l’Etat de mettre en œuvre la réponse politique adéquate au défi terroriste. Aujourd’hui, réalistes sur les conséquences de guerres menées, au nom des valeurs occidentales, au Moyen Orient, un repli sceptique à l’intérieur de remparts à bâtir nous tente. Mais il n’y a pas de forteresse à bâtir quand la terreur ne frappe pas des campagnes lointaines mais les villes, nos villes. Et les ruptures sociales qui créent les conditions de luttes civiles ont une cause : la perte de la dignité ressentie par les exclus et leur proches. Dès 1942 le Père Fessard, dans « Autorité et Bien Commun » a souligné que la communauté des biens ne peut être réduite à une lecture idéologique, partielle, partiale, puis il a rappelé que seule la recherche du Bien Commun légitime l’autorité. La dignité de chacun est la première pierre de ce bien commun.
J’avais compris le titre de la Session d’octobre 2015 des Semaines Sociales « Religions et Cultures ressources pour imaginer le monde » comme une invitation à mettre en œuvre les intuitions de François, en intégrant le respect de la maison commune dans les déterminants de tout développement, « ce nouveau nom de la Paix » avait on-lu dans Populorum Progressio. La sanglante violence dans notre quotidien nous incite à comprendre dans ces ressources ce que les religions, toutes les religions, les cultures, peuvent et doivent apporter contre vent et marées, à la lutte pour la dignité de chacun, à la dignité de chaque communauté, habitants d’une cité, d’un quartier, d’un écart, travailleurs et chômeurs, pour renvoyer le terroriste à sa radicale solitude. Seule la possibilité de l’égale dignité donnera à chacun, et à chaque communauté, le sens de sa responsabilité et permettra de vaincre l’horreur.
Philippe Segretain, 30 juin 2015