Par Louise Clémentier
A l’aune de l’historique de la lutte contre le changement climatique, la perspective de la COP 21, la prochaine conférence internationale à ce sujet, qui se tiendra à Paris en novembre prochain, n’incite pas à un immense optimisme. Qui a oublié l’échec de la conférence de Copenhague de 2009, où la Chine et les États-Unis s’étaient mis d’accord sur un document non-contraignant et resté sans effet ? Le scepticisme prévaut donc quant à la capacité des États à s’entendre sur ce point, c’est-à-dire, au fond, quant à la capacité du politique à faire véritablement avancer la cause du développement durable.
Face à ce pessimisme, Nicolas Hulot a cherché une parade : une alliance des religions et sagesses du monde entier, symbolisée par le Sommet des consciences qui a eu lieu à Paris ce mardi 21 juillet et sur le site internet Why Do I Care ? Au-delà de la belle photo, sur laquelle François Hollande et Kofi Annan côtoyaient le patriarche œcuménique Bartholomée Ier, des philosophes confucéens et des militants environnementaux du monde entier, que faut-il retenir ?
Un diagnostic commun, certainement : celui d’une humanité qui court littéralement à sa perte si des efforts significatifs ne sont pas accomplis en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une urgence pour les pauvres, pour les générations futures, mais aussi pour nous tous.
Des initiatives à réaliser, diverses : renouveler l’approche théologique de la terre (Patriarche Bartholomée Ier), écrire une Déclaration universelle des devoirs de l’homme (Pr Fiali-Ansary, représentant de l’Aga Khan), instaurer un mécanisme pour empêcher la fuite d’installations intensives en carbone d’un pays à l’autre (Marina Silva), sauver la forêt du Congo (P. Rigobert Minani-Bihuzo, jésuite congolais), ou planter des arbres partout dans le monde (Vandana Shiva, miliante indienne) etc.
Mais dans cette belle unanimité de toutes les cultures, religions et philosophies se cachait parfois une approche surprenante, apparemment voulue par les organisateurs : celle consistant à faire de l’écologie un enjeu d’abord individuel, en invitant chacun à répondre à la question Why Do I Care ? (pourquoi est-ce que je me sens concerné ?). Le dialogue entre les religions et les cultures, qui reconnaisse l’apport de chacune à la compréhension du monde qui nous entoure, s’efface alors un peu derrière des professions de foi individuelles de personnalités pourtant incontestablement inspirantes, telles que Muhammad Yunus, l’un des initiateurs du microcrédit, ou Marina Silva, activiste environnementale candidate à l’élection présidentielle brésilienne.
Cette approche a une conséquence très ambiguë : nombre d’intervenants ont souligné, comme l’astrophysicien américain Trin Xuan Thuan, que « les gouvernements peuvent aider, mais c’est notre changement intérieur qui doit porter un changement extérieur ». Bref, ce serait aux individus de provoquer, par leur changement de mode de comportement, le changement d’attitude à l’égard de l’environnement qui permettra de maintenir l’augmentation de la température sous la barre des 2° C d’ici à la fin du siècle. L’Appel publié à l’issue du Sommet s’adresse ainsi aux chefs d’État et de gouvernement amenés à négocier à la COP21, en novembre : « Nous espérons qu’en répondant à cette question simple [Why do I care ?], vous aborderez la COP21 non pas simplement en tant que représentant d’un Gouvernement ou d’organisation mais aussi en tant qu’être humain animé par sa propre conscience ». Mais ce message n’est-il pas, au fond, un peu antipolitique ? En mettant l’accent sur la dimension individuelle de l’enjeu environnemental, voire en déniant aux gouvernements une réelle possibilité de faire la différence, les encourage-t-on vraiment à parvenir à un accord ?
Espérons tout de même, dans la lignée de ce Sommet, que l’appropriation politique de ces questions se fera : par la conviction des hommes et femmes politiques, qui ne doit pas être négligée, par la mobilisation des citoyens du monde entier, mais aussi par un dialogue plus dense et approfondi des différentes cultures et religions. Un bel ordre du jour pour la prochaine session des SSF, « Religions et cultures, ressources pour imaginer le monde » !
Crédit photo : ©Ciric
Grosse ambiguïté en effet : d’un côté les politiques comprennent bien que, s’il n’y a pas mobilisation de la société civile, rien n’avancera – d’où cet appel aux religions, principales composantes, en régime laïc, de l’espace public, de l’autre les mêmes politiques ont un peu peur de cette ouverture et voudraient au fond voir cet espace public cantonné à l’espace privé. Ce qui explique cette exhortation – démobilisante en effet – à agir dans le domaine strictement privé : Qu’est-ce que je peux faire ?
Au fond le pape François a raison : l’écologie ne peut avancer que si des groupes de pression se constituent indépendamment du politique et, éventuellement, contre lui.