Par Catherine Belzung
C’est la rentrée.. et elle ne se passe pas vraiment à la façon d’un long fleuve tranquille dans les Universités ! En effet, dans le contexte lié aux attentats terroristes, le Ministère de l’Éducation Nationale a annoncé le 31 août une aide financière de 30 Millions d’euros pour assurer la sécurité des campus : il s’agit de sécuriser les bâtiments, et d’employer des vigiles pour mieux protéger enseignants et étudiants contre l’éventualité d’une attaque. Comme il y a une centaine d’universités en France, cela correspond à environ 300 000 euros par établissement. Bien sûr, cette aide a été bien accueillie, les universités (qui sont pour plusieurs d’entres elles en déficit) étant assez démunies pour affronter ce type de situation, et le secteur de l’enseignement supérieur étant visé par ce type d’attaque (rappelons nous l’attentat terroriste qui a visé l’Université de Garissa au Kenya, faisant plus de 150 victimes). Néanmoins, l’enthousiasme est retombé quand on a appris d’où provenaient les fonds : les universités seraient autorisées à ne pas verser la totalité de leur contribution au fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) (une sorte d’amende que doivent verser les employeurs qui comptent moins de 6 % de personnes handicapées dans leurs effectifs).
Cette mesure revient donc à préférer l’emploi de vigiles à l’insertion des handicapés, à choisir entre sécurité et humanisme, entre protection contre les attentats et éducation (puisque les universités n’ont souvent plus suffisamment de moyens pour embaucher les enseignants nécessaires, alors qu’elles vont embaucher des vigiles).. Qu’en penser et y a-t-il des solutions ? Tout d’abord, on peut remarquer que l’emploi de ces vigiles serait sans doute totalement inefficace. En effet, avec la somme envisagée, une université comme celle dans laquelle j’enseigne pourrait embaucher une dizaine de vigiles pendant un an. Cependant, mon université s’étend sur plusieurs sites (au moins 6), certains d’entres eux comportant une dizaine de bâtiments, ayant chacun plusieurs portes. Une fouille systématique serait donc totalement impossible avec 10 vigiles. Ensuite, promouvoir une impossible sécurité au détriment de l’insertion des handicapés et de l’éducation est bien loin des valeurs d’humanisme, d’inclusion, de main tendue, de formation qui correspond au troisième terme de notre devise république : celui de fraternité..
Mais y a-t-il une autre solution ? Oui.. et elle nécessite sans doute que chacun y mette du sien. L’état tout d’abord : car le déficit des universités est aussi lié à une aide trop faible de l’état. Si l’état versait pour chaque étudiant une somme équivalente celle des autres pays de l’OCDE, les universités ne seraient pas au bord de la faillite, et pourraient concilier sécurité, humanité et formation. Les universités ensuite, car si elles versent une contribution au FIPHFP, c’est que leur taux d’embauche de handicapés est très faible (1.6 % selon l’Association des paralysés de France). Il faudrait donc qu’elles mettent en œuvre une action plus volontariste en faveur de l’embauche des handicapées pour payer une amende moins forte et ainsi économiser cette somme. Finalement, il faut remarquer que le faible taux d’emploi de personnes en situation de handicap à l’université est aussi lié à l’étroitesse du vivier : en effet, à l’université, 60% des emplois nécessitent un doctorat. Or 6.3% des étudiants sont inscrits à ce niveau d’étude, mais ce taux chute à 0.8 % chez les personnes handicapées. Un dernier levier, efficace à plus long terme, serait donc aussi de mettre au point des aides spécifiques pour accompagner les études des personnes en situation de handicap en 3ème cycle à l’université. Bref, une autre solution est possible : au lieu de nous laisser envahir par l’émotion et la peur, il suffit de garder nos boussoles allumées en direction de la fraternité !
Catherine Belzung, Professeure à l’Université François Rabelais de Tours.