Par Philippe Bancon
Les débats vont bon train sur la laïcité depuis quelques mois, quelques années. Ils nous appellent à prendre position en tant qu’éducateur.
Deux visions s’affrontent aujourd’hui en France. Une première position défend l’idée que le principe de séparation des religions et de l’État limite la place de ces religions à la sphère privée. Pour les tenants de la deuxième vision, outre la séparation des religions et de l’État, la laïcité garantit la coexistence pacifique de toutes les croyances et la liberté d’expression de toutes les convictions dans l’espace public, dans le respect de l’ordre public.
Deux principes éducatifs me semblent disqualifier la première position d’une laïcité qui refuserait de prendre en compte la dimension spirituelle et religieuse de l’Homme.
Pas d’éducation à l’altérité sans expérience de l’altérité
Le premier est lié à la finalité même de l’éducation à la laïcité. Éduquer à la laïcité c’est éduquer au pluralisme religieux et convictionnel. Il s’agit d’aider chaque enfant de la République à considérer le pluralisme de conviction comme une réalité à respecter ou mieux comme une richesse à cultiver qui alimente l’identité nationale. Mais cet apprentissage est du domaine du savoir être. Les savoirs être ne s’enseignent pas. Ils s’acquièrent par l’expérience et la relecture de cette expérience. Comment imaginer dès lors que dans un espace où toute expression religieuse est interdite, on puisse faire l’expérience que le pluralisme est positif ? L’éducation hors-sol est un contre sens en matière de savoir être.
Cette obligation de neutralité dans l’espace collectif exprime un message en creux : vos différences religieuses sont un danger, les faire disparaître est une nécessité pour garantir la paix et le vivre ensemble. Les messages non verbaux sont parfois assourdissants. Est-ce ce message que l’on veut transmettre ?
Pas d’éducation sans reconnaissance bienveillante
Le deuxième de ces principes tient dans l’expression : on ne peut faire grandir que ceux que l’on respecte. Pas d’éducation sans prise en compte, sans reconnaissance de l’identité de chacun. Le prêt-à-porter est une impasse en éducation. Seul le sur-mesure permet de grandir de façon équilibrée. C’est une vision dangereuse et totalement contre productive de penser que la négation de la culture, l’identité, la singularité d’un enfant lui permettra de s’ouvrir à une culture commune.
Faisons un pas de côté : imaginons l’injonction faite à un jeune de laisser son accent au vestiaire, en dehors de l’école. Cette obligation génèrera deux attitudes possibles. Soit la soumission, avec son corollaire qui est la honte portée sur cette part de lui-même, soit la rébellion avec son corollaire qui est le sur-investissement de cette part de son identité et la volonté de l’imposer à tous.
Faut-il le laisser faire des fautes de Français à chaque phrase pour respecter son accent ? Non. Faut-il lui demander de gommer toutes traces de cet accent dans son expression pour assurer une unité de langage ? Non plus.
Demander à un jeune qui vit sa dimension religieuse comme une part importante de son identité, de la ranger dans son sac sans jamais pouvoir la sortir, c’est prendre le risque d’avoir à gérer des revendications déplacées et des provocations identitaires. Le manque de reconnaissance se traduit malheureusement très souvent par une violence qui se porte sur ceux qui sont responsables de la vie collective.
La lutte contre l’intégrisme est une urgence. On ne peut laisser massacrer nos libertés sans réagir fermement. Mais ne nous trompons pas d’arme. Ne laissons pas Daesh gagner le combat des idées. Ils veulent nous enfermer dans une pensée binaire qui réduit la complexité du monde et de la vie à des simplismes. Ils tentent de transmettre par la peur, leur vision d’un monde où le pluralisme serait une impasse. Face au terrorisme, face à la violence pure, seule la radicalité d’une fraternité sincère et active est une réponse éducative à la hauteur.
C’est au creux de vies assoiffées d’absolu et vides de sens que le chant des sirènes djihâdistes trouve un écho. La laïcité porteuse d’une neutralité publique des religions ne pourra jamais remplir le vide dans lequel s’installe l’extrémisme. La fraternité porte autant les couleurs de la République que celles des grandes religions, en particulier du christianisme. Cette idéal de fraternité peut rejoindre les aspirations profondes d’une jeunesse en mal de reconnaissance. Encore faut-il qu’elle se sente appelée et respectée dans toutes les facettes de son identité.
Philippe Bancon, chef d’établissement et ancien DG des Scouts et Guides de France (2008-2013)
Merci beaucoup pour ce bel article. Je crois profondément qu’aucune réalité humaine, la plus belle soit-elle, ne peut vivre et se développer seule en étouffant les autres. C’est le service dans la réciprocité qui est l’unique solution. Le jour où les religions et la laïcité se serviront réciproquement au lieu d’essayer de se dominer et de nier l’autre, alors il n’y aura plus rien à craindre. Car les religions ont besoin d’une saine laïcité pour se développer sur la place publique et la laïcité a peut-être bien des choses à apprendre d’une saine vision religieuse, dont le seul but est le service de l’humanité et non pas son asservissement. Utopie que cela? Je crois que de plus en plus d’hommes et de femmes de bonne volonté avancent dans ce sens…