Neuro-justice, neuro-éthique : une nouvelle ruse pour nourrir l’irresponsabilité ?

Par Catherine Belzung

La chose n’est pas nouvelle, puisque cela fait longtemps qu’un diagnostic psychiatrique est considéré comme entravant le libre arbitre d’une personne, au point de la rendre irresponsable d’acte criminels qu’elle aurait pu commettre lors d’une crise liée à sa maladie.  C’est par exemple ce qui arriva à Louis Althusser lorsqu’il étrangla sa femme dans un moment de démence : bien que l’acte criminel ait été établi, il fût jugé pénalement irresponsable, les juges considérant que son discernement avait été altéré au moment des faits. Et l’on sait combien ce jugement d’irresponsabilité fût douloureux pour le philosophe. Cependant, jusqu’à présent, cette disposition ne concernait que les cas de pathologies avérées, et il n’était pas considéré que la biologie pourrait permettre de dédouaner le comportement d’une personne normale. Les choses sont en train de changer cependant, et nombreux sont les cas de prévenus accusés de crimes odieux qui se défendent en prétextant  ne pas être responsables des actes qu’ils ont commis, accusant leur biologie  – leur cerveau ou leurs gènes selon le cas – qui deviendraient les vrais coupables. Qu’en penser ?
Des travaux récents en neurobiologie ont en effet permis de visualiser des corrélats cérébraux de certains processus cognitifs ou de certains comportements : telle région du cerveau est activée lorsque nous prenons des décisions  en matière d’éthique ou de morale (et les régions sont différentes en fonction des critères éthiques mis en avant), telle autre est sollicitée lorsque nous présentons des comportements agressifs, et inversement d’autres régions sont recrutées lorsque nous inhibons des comportements violents ou lorsque nous sommes empathiques. Est-ce que nous pouvons en conclure pour autant que nous ne sommes que des marionnettes de notre cerveau, nous comportant au bon gré de l’activité de nos neurones ?
Les choses ne sont pas si simples. Répondre positivement à cette question suppose une vision plus que réductionniste des neurosciences, dans lesquelles le sujet aurait disparu pour laisser la place à un amas de cellules. Non seulement cette vision des choses ne laisse aucune place à la personne comme être libre et responsable, mais elle est basée sur une vision parcellaire, et donc erronée, du fonctionnement du cerveau. Supposons en effet que je sois furieuse, ce qui correspond à l’activité d’une partie de mon système limbique : vais-je pour autant gifler la personne qui est à l’origine de cette colère ? Je peux décider que non : ce dialogue intérieur, dans lequel je peux intégrer mes valeurs, évaluer les conséquences de mes actes, se traduira aussi par un dialogue entre régions du cerveau, au point que la zone permettant d’inhiber ce geste de la main inhibera aussi la zone activée par la colère.
Ainsi donc, en dehors des cas pathologiques, nous avons des ressources neuronales aussi bien pour agir de façon violente que pour agir en privilégiant des valeurs éthiques, l’empathie, l’attention aux autres.. Nous ne sommes donc pas condamnés pas notre biologie. Bien au contraire, nous pouvons utiliser les ressources que nous fournit notre cerveau,  en « choisissant » la zone  qui « aura le dernier mot ».

Catherine Belzung, membre du CA des SSF

Photo : DR

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