Par Christian Mellon
Devant l’hécatombe en Méditerranée, j’imagine que beaucoup de lecteurs de ce blog se sont associés aux diverses pétitions qui, sur le net, demandent aux autorités européennes de prendre, dans l’urgence, des mesures visant à prévenir la répétition de tels drames. Mais peut-on en rester là ? Agir dans l’urgence est, en ce domaine comme en d’autres, à la fois nécessaire et insatisfaisant. Le moment n’est-il pas venu, de réorienter radicalement non seulement nos politiques d’asile, mais nos politiques migratoires ?
C’est ce que proposent plusieurs experts, dont les travaux sont rapportés en divers articles de presse récents (Le Monde du 21 avril, Libération du 22) : selon eux, tous comptes faits, l’ouverture des frontières est une solution plus « réaliste » qu’on ne le croit, y compris en termes d’ « intérêts ». Ces propositions m’ont remis en mémoire ces lignes de Paul VI : «Les autorités publiques nieraient injustement un droit de la personne humaine si elles s’opposaient à l’émigration ou à l’immigration… à moins que cela soit exigé par des motifs graves et objectivement fondés, relevant du bien commun » (Pastoralis migratorum cura, La documentation catholique, 1970, n°1555, pp 58-72). Vingt ans plus tard, le Catéchisme de l’Eglise catholique précise, en son article 2241 : « Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine ». Les mots « ressources vitales » sont importants : il ne s’agit pas seulement du droit à l’asile (évoqué par le mot « sécurité »).
Telle est la doctrine de l’Eglise catholique : la règle générale est la liberté de migration, et les limitations apportées par les Etats à cette liberté ne peuvent être que des exceptions, que seule la visée du « bien commun » peut légitimer. Cela ne clôt certes pas le débat, puisque l’on peut diverger sur ce qu’exige le « bien commun » en tel ou tel domaine. Mais il est opportun que des chercheurs – à partir de considérations qui n’ont rien de particulièrement éthiques – nous disent qu’une ouverture des frontières serait un « bien commun » pour l’humanité.
Christian Mellon, Jésuite, Ceras, membre du CA des Semaines sociales
Voir le dossier de la revue Projet n° 335 :Migrations : quelle autre politique pour l’Europe ? Aout 2013