Par Pierre-Yves Stucki
Depuis l’annonce par le Président de la République de son intention de réformer la Constitution pour permettre de déchoir de la nationalité française les personnes condamnées pour terrorisme, y compris lorsqu’elles sont nées françaises, le débat est intense dans le monde politique, tandis que plusieurs sondages, réalisés aussitôt après les attentats, indiquent une forte adhésion des Français.
La première chose qui frappe pourtant, c’est le caractère inefficace de cette mesure. On n’imagine pas un instant les terroristes renoncer à leur action par peur de perdre leur nationalité. Pire encore : ils honnissent tellement la République laïque et démocratique qu’ils se feraient plutôt une gloire d’être exclus de la communauté nationale. Cette sanction n’est donc pas préventive. Elle n’offre par ailleurs aucune réparation aux victimes, ni ne favorise l’amendement du coupable.
Si cette mesure n’a aucune efficacité contre le terrorisme, elle n’est donc proposée qu’à titre symbolique. Or, pour être à ce point plébiscité, il faut que ce symbole touche une corde sensible dans l’opinion. Quel est donc ce sentiment populaire qui trouverait ainsi son expression dans la déchéance de nationalité ?
On voudrait pouvoir répondre qu’il s’agit simplement de l’horreur du terrorisme et du rejet de cette violence. Or il suffit de regarder comment évolue le débat public pour voir pointer tout autre chose. En particulier dans les propos – ceux de certains élus comme ceux qui se déversent sur les réseaux sociaux – qui réclament d’aller plus loin en abolissant la possibilité même de double nationalité.
Là, on ne voit plus du tout en quoi retirer de manière systématique la double nationalité à quelques millions de personnes permettra de lutter plus efficacement contre le terrorisme. À l’évidence, quelque chose d’autre est ici en jeu. Quelque chose qui, insidieusement, cultive l’idée qu’on ne saurait être pleinement français, honnêtement français, si l’on est en même temps citoyen d’un autre pays.
Il y a une inconscience coupable du pouvoir politique à lancer une opération aussi inutile (pourquoi donc aller inscrire la déchéance dans la Constitution ?) en plein désarroi à la suite des attentats. Cette opération cynique, motivée essentiellement par la stratégie personnelle d’un Président en quête de soutien populaire, vient alimenter un discours renaissant, qui n’a plus rien à voir avec le sujet initial (la lutte contre le terrorisme) et réactive cette idée que l’étranger est soupçonnable a priori, que le mal qui nous frappe ne saurait venir que de l’étranger.
« L’étranger qui vit chez nous : voilà l’ennemi. Et le binational, un traître en puissance. » Y a-t-il réflexe plus ancien que de voir en l’étranger, parce qu’il est étranger, la source de nos maux – pour mieux éviter de nous interroger sur notre propre responsabilité ?
L’idée qu’une personne ne soit pas définie par une nationalité unique semble poser problème.
Il ne s’agit pas ici de nier la valeur de la citoyenneté ni des nations, mais de rappeler qu’elles ne constituent pas l’horizon ultime de l’homme En ce sens, les doubles nationaux, qui assument un double héritage culturel, incarnent « cette tension entre le particulier et l’universel (…) immanente à l’être humain » qu’évoquait Jean-Paul II dans son discours à l’ONU.
La nation n’est pas le fin mot de notre histoire. Elle est un des échelons de la subsidiarité et notre vocation humaine ne peut se laisser enfermer dans une vision nationaliste. Il est assez préoccupant de devoir rappeler cela un siècle après la première guerre mondiale qui aurait dû nous vacciner à tout jamais contre les dérives du nationalisme.
Pierre-Yves Stucki, vice-président des SSF
Bon résumé des motivations d’un trop grand nombre de nos hommes politiques , à commencer par le premier d’entre eux…
Merci de cette analyse; le horla, le horsain existent encore en Normandie comme ailleurs. La peur de l’autre tjs et tjs…Quand comprendrons nous que cet apport étranger (les Français aussi à l’étranger!) est une nécessité utile à notre évolution commune?
Bernard Billaudot écrit : Discutons, au fond, de la proposition de rendre possible la déchéance de nationalité pour les citoyens qui ont la nationalité française parce qu’ils sont nés en France (la règle du « droit du sol ») et qui ont une double nationalité (celle de leurs parents, en l’occurrence le plus souvent). Il me semble qu’il y a un vrai débat pour ceux qui pensent qu’il faut sortir de la première modernité (dans laquelle la citoyenneté est nationale uniquement) pour une seconde modernité dans laquelle on aurait une double citoyenneté, à la fois une citoyenneté nationale et une citoyenneté mondiale (ou au moins transitoirement celle d’une communauté de nations qui préfigure ce qu’il faudrait arriver à instituer à l’échelle mondiale).
L’argument de ceux qui sont contre la dite déchéance possible avancent l’argument selon lequel cela revient à remettre en cause le fondement de la citoyenneté républicaine, c’est à dire l’ordination du multiple (la diversité des membres de la Nation) à l’un (tous ont, sans distinction de quoi que ce soit, le statut de citoyen) ordination qui fonde la souveraineté moderne-démocratique, dont l’instrument est le Droit (national). Tel est notamment le point de vue exprimé par Jacques Toubon. Je dois ajouter, cela est essentiel à prendre en compte dans le débat, que le concept de citoyenneté ainsi défini implique la règle du « droit du sol » (l’un va avec l’autre), la règle du « droit du sang » encore appliquée dans de nombreux pays étant une survivance (en modernité) de la société traditionnelle.
J’avoue avoir été interrogé par cet argument. Toutefois, il me semble qu’il y a une contradiction dans son propos puisqu’il y a deux types de citoyens français (nés français) et non pas un seul : les uni-nationaux et les bi-nationaux. Sans que l’on ait considéré que cela remettait en cause l’ordination du multiple à l’un rappelée ci-dessus. Puisqu’on a considéré jusqu’à présent, en conformité avec la constitution actuelle, que la bi-nationalité en question avait le droit d’exister, je ne pense pas que l’on porte atteinte au concept de citoyenneté (avec la forme moderne « droit du sol ») en envisageant qu’il soit possible de déchoir quelqu’un de cette citoyenneté, dès lors qu’il en revendique aussi une autre fondée sur le « droit du sang ».
Comme je ne suis pas juriste, je ne m’avance pas plus. Je peux comprendre l’origine des bi-nationaux considérés, mais pour moi, c’est cette existence même qui est contradictoire à la citoyenneté de première modernité, puisque cela revient à faire une place à une survivance, à l’échelle internationale, à un passé révolu (si ce n’est pour les membres de Daech qui veulent nous y faire revenir !).
Conclusion ; je n’arrive pas encore à formuler un choix.
Ce dont je suis assuré est que la bi-citoyenneté que j’appelle de mes vœux n’est pas du tout une bi-nationalité, parce qu’elle procède uniquement du droit du sol (on est citoyen de telle nation parce qu’on y est né et on est citoyen du monde parce qu’on est né sur terre). Ne nous enfermons pas dans des débats du passé. Tournons-nous vers l’avenir à construire. La question devient alors : qu’en est-il de la « déchéance de citoyenneté » dans le monde virtuel à bi-citoyenneté ? Il va de soi que l’on ne peut envisager de déchoir un humain de sa citoyenneté mondiale. Une nation particulière peut-elle déchoir de sa nationalité (citoyenneté nationale) un membre de la nation ? Cela n’est envisageable que s’il revendique une autre nationalité et qu’il est accepté comme tel par l’autre nation. Cela nous donne la « porte de sortie » pour le débat actuel…me semble-t-il. (selon Bernard Billaudot)