Par Vincent Camus
Le débat sur la fin de vie a pris une place prépondérante dans l’agenda politique en France au cours de ces derniers mois. Il fait émerger de manière prégnante la question de la légalisation du suicide médicalement assisté qui pourrait être considéré comme une évolution d’autant plus favorable du cadre légal actuel, qu’elle apparaitrait comme un position raisonnablement équilibrée entre refus de toute évolution du cadre actuel et légalisation de l’euthanasie active.
Considérer qu’il faille demain assister médicalement le geste suicidaire est un réel saut conceptuel pour les professionnels de santé. Jusqu’à présent, le suicide était considéré comme un « fléau » qu’il faut combattre par des politiques de prévention propres qui font de l’intentionnalité de mourir -avec ou sans passage à l’acte suicidaire- une indication à une évaluation médicale systématique par des équipes de psychiatrie, à seule fin d’éviter un (nouveau) passage à l’acte suicidaire et dépister une pathologie mentale sous-jacente pouvant justifier d’une prise en charge spécialisée. Demain, dans un cadre légal qui autoriserait l’assistance médicale au suicide, l’évaluation psychiatrique verrait ses indications élargies dans une finalité nouvelle: non plus seulement celle d’éviter le passage à l’acte suicidaire mais bien de vérifier l’absence d’une contre-indication de nature psychiatrique à sa réalisation.
Il est un autre paradoxe auquel l’assistance médicale au suicide exposerait les professionnels de santé mentale. Les pathologies mentales évoluant pour certaines de manière chronique, les soins consistent à travailler avec les patients, dans la durée, à stabiliser leurs symptômes dans le but de prévenir les rechutes et les complications dont le suicide constitue la plus redoutable d’entre elles. Il s’agit également de limiter le handicap induit par la maladie, d’améliorer la qualité de vie, et limiter la stigmatisation et la discrimination dont les patients sont l’objet de par la nature même de leur maladie, en les aidant à défendre leurs intérêts en matière de citoyenneté et de droits. Nul doute que la légalisation de l’assistance médicale au suicide sera justifiée par la nécessité d’élargir les droits des citoyens. Aider les patients à jouir pleinement de leur citoyenneté sera donc aussi veiller à ce que l’accès à ce droit nouveau ne puisse leur être refusé du seul fait de la nature de la pathologie dont ils sont atteints…
Vincent Camus, psychiatre
Photo D.R.
Bonjour, Je trouve le papier intéressant mais il me semble que nous n’en sommes pas encore à l’assistance médicale au suicide, telle qu’elle existe en Belgique et en Suisse par exemple. Il est vrai que les Belges eux-mêmes ont été surpris des demandes croissantes en ce sens : jeunes, voire enfants, détenus, malades mentaux. Le principe d’une « sédation terminale et profonde » réalisée dans des circonstances précises sur la base d’un recueil systématique de directives anticipées risque, selon vous, de glisser vers cette dérive ?
Je ne reprendrais pas le terme « dérive » mais plutôt celui d' »évolution » du cadre légal qui me parait hautement probable, certains parlementaires considérant dors et déjà la loi Clayes-Leonetti de mars 2015 comme une « étape vers l’ouverture de l’assistance médicalisée active à mourir » (http://www.huffingtonpost.fr/philip-cordery/loi-fin-de-vie_b_7534874.html), le rapport Sicard de 2012 ayant déjà évoqué la légalisation de l’assistance au suicide comme une hypothèse plausible sous certaines conditions (http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport-de-la-commission-de-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf). En Belgique le rapport de la Commission de Contrôle et d’Evaluation de l’Euthanasie de 2014 (http://www.health.belgium.be/filestore/19097638/Rapport_Euthanasie12-13_FR.pdf) met en évidence une augmentation constante du nombre de d’euthanasies au cours des dernières années (259 en 2004, 3239 en 2014), dont pour l’année 2014, près de 15 % (433) concernaient des situations dans lesquelles il n’y avait pas de décès attendu à brève échéance. C’est dans cette dernière catégorie de situations que les demandes justifiées par l’existence d’un trouble « neuropsychique » sont les plus nombreuses atteignant 23% des demandes alors qu’elle ne représente que 4% des justifications des demandes dans les situations ou le décès est attendu à brève échéance. Le cadre actuel de la loi Française faisant référence à la sédation terminale et profonde permet probablement de bien répondre, en s’appuyant sur les directives anticipées mais aussi et surtout sur un dialogue constant entre patient, famille et équipe médicale, aux situations dans lesquelles le décès est attendu à brève échéance. Plus que d’ouvrir la problématique aux situations dans lesquelles le décès n’est pas attendu à brève échéance (ce que ferait, à l’instar de la situation Belge, l’évolution de la loi vers une légalisation de l’assistance médicale à mourir), l’urgence me semble être l’amélioration des pratiques de soins et en particulier de la pratique de la délibération éthique et des compétences relationnelles des équipes de soins … Faut il vraiment passer par la loi pour redonner la parole aux patients/citoyens? N’est ce pas d’abord l’enjeu de la pratique médicale quotidienne?
Le poids respectif d’une maladie mentale , d’une perte d’image positive de soi, d’une insuffisance de lien affectif …, comme facteurs de démarche suicidaire est d’autant plus difficile à apprécier , pour le médecin , qu’il ne connait jamais qu’une partie de l’histoire de la personne et que le diagnostic de maladie mentale peut être incertain. Comme médecin, je pourrai percevoir qu’à ce moment donné , cette personne est fragile , vulnérable , mais alors, à l’égard de celle ci j’ai un devoir d’assistance particulier , que rappelle d’ailleurs le serment d’Hippocrate, qui ne me parait pas consister en la participation à un suicide médicalement assisté (SMA).
« Je ne provoquerai jamais la mort délibérément » jurons nous d’ailleurs aussi, et sauf une bonne dose d’hypocrisie, cela n’est pas compatible avec une participation à un SMA.
Les psychiatres , en France, ont fort justement défendu l’accès aux droits civiques des patients porteurs d’une maladie mentale, tout en faisant reconnaitre des situations d’irresponsabilité, à l’intérieur de ce cadre général. Mais du fait de la reconnaissance d’une maladie psychiatrique il y aurait non seulement paradoxe mais opposition entre l’accès de principe au SMA , comme un droit civique du à tout malade porteur de maladie mentale, et la réalisation de ce droit puisque l’on reconnait que le patient n’ayant pas son libre arbitre, il y a une contre indication médicale à la mise en œuvre d’un SMA. Belles batailles « d’experts » en perspective quand les familles attaqueront pour une erreur médicale!
J’ai surtout envie , avec l’aide d’autres professionnels de santé, des proches et de différents acteurs sociaux, de chercher à réduire la vulnérabilité des personnes porteuses d’une maladie grave, ainsi que les effets de cette vulnérabilité.
Mathieu Monconduit
Médecin hématologue , ancien directeur d’un Centre de Lutte contre le cancer
Merci de votre commentaire. Je reprends vos termes » du fait de la reconnaissance d’une maladie psychiatrique (…) le patient n’ayant pas son libre arbitre, il y a une contre indication médicale à la mise en œuvre d’un SMA ». En fait le diagnostic de maladie mentale ne signe pas systématiquement la perte définitive du libre arbitre, de la capacité à consentir ou de l’incapacité à pourvoir seul à ses intérêt (qui justifie alors d’une protection juridique). S’agissant de pathologies chroniques, il existe des périodes pendant lesquelles (les phases actives, aiguës, les rechutes…) la capacité du patient à consentir peut être altérée. C’est bien le sens de la « loi de relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » (loi de 2011 modifiée en 2013) que de décrire les conditions précises dans lesquelles on peut, sous le contrôle du juge des libertés, se passer du consentement du patient, c’est à dire de considérer qu’il ne jouit pas de son libre arbitre au point de lui imposer des soins dont l’absence l’exposerait à un danger pour lui ou pour autrui. Je crains donc, et c’est le sens du billet, qu’on ne puisse régler le paradoxe par le simple postulat de « maladie mentale = perte du libre arbitre = contre-indication au SMA »…