Par Mathieu Monconduit
Le projet de Loi Santé suscite des oppositions de tous bords. La mobilisation des professionnels tant en ville qu’à l’hôpital a paru suffisamment massive, avec différents mouvements de grève, pour que l’examen parlementaire de ce projet soit reporté de janvier à avril 2015.
« Le tiers payant généralisé, un dispositif qui permet d’attaquer les inégalités en santé à la racine » pour Marisol Touraine. Pourtant ce dispositif est aussi une des mesures qui concentre les critiques.
Cette généralisation est-elle une réponse adaptée à la persistance des inégalités en santé?
La mesure est contestée par les médecins pour notamment trois raisons :
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elle serait un signal négatif dans une démarche de responsabilisation de la population,
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les actes seraient ainsi dévalorisés dégradant par là même l’image sociétale des médecins généralistes acteurs en première ligne pour les soins,
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le remboursement du aux médecins est complexe, consommateur de temps, en raison de la multiplicité des systèmes auxquels ils doivent s’adresser.
Par ailleurs, Il existe déjà de nombreux dispositifs ( ALD, CMU , CMUc..) permettant le tiers payant, notamment pour les plus démunis. De plus « le report de soins pour difficultés financières touche très peu les consultations (2%)1».
D’autres facteurs d’inégalités et de non accessibilité sont déjà bien identifiés mais on ne voit pas trace d’une volonté de les corriger dans ce projet de Loi :
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faiblesse des dispositifs publics d’éducation en santé et de prévention qui pénalise surtout les plus démunis,
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complexité et cloisonnements du système de santé,
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inégale répartition des médecins, généralistes comme spécialistes, variant de 1 à 3 voire plus, entre les départements mais aussi entre les territoires d’une même région, conséquence de la totale liberté d’installation en secteur conventionné dit libéral.
A la correction de ces facteurs, d’autres mesures, plus structurantes, devraient être associées, prenant en compte quatre contraintes que sont :
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la transformation des besoins, variant selon les bassins de vie, en raison du vieillissement de la population et de l’accroissement de la prévalence des maladies chroniques ;
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la complexité des soins et des parcours entre « experts » spécialistes, cliniciens ou techniciens du fait de l’évolution des savoirs et des métiers ; ces parcours, en particulier dans les cas des personnes âgées ou porteuses de maladies mentales, impliquent la participation d’acteurs des secteurs médico social et social qui devraient être intégrés dans le système de santé. Leur coordination est un nouveau métier ;
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les attentes des jeunes professionnels qui sont celles de leur génération et le reflet de la féminisation des métiers de santé. Ils souhaitent exercer en groupe ou dans un cadre qui leur assure stabilité et salaire, avec un autre rythme de vie que celui de leurs aînés.
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les contraintes financières enfin : notre système de santé coûte 2 points de PIB de plus que celui de pays voisins pour des résultats identiques.
Améliorer l’accessibilité aux soins, à la santé, afin qu’elle soit adaptée aux différents publics, et contribuer ainsi à réduire les inégalités en santé,
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c’est réorganiser profondément l’offre de soins, afin qu’elle réponde à des besoins évalués, au niveau de chaque territoire, non pour qu’il y ait une préemption par un hôpital en mal de rentabilité, mais pour reconnaître ce qui est de la compétence de chaque acteur ;
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c’est faciliter et non ignorer les expérimentations (maisons et pôles de santé), venus de professionnels libéraux militants, acteurs de premier recours, pour mettre en place des parcours de santé pluri-professionnels en fonction de besoins recensés ;
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c’est revoir les répartitions entre les différents métiers de la santé : qui fait quoi, du médecin généraliste au spécialiste en passant par les autres professionnels de santé et les acteurs sociaux. Il s’agit de reconnaître la pleine capacité de professionnels non médecins, formés à cet effet, pour réaliser certains actes de diagnostic, de surveillance ou de traitement, particulièrement dans le cadre de maladies chroniques ;
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comme d’autres pays européens avant nous, c’est revoir la répartition possible des taches entre professionnels en fonction de compétences déjà existantes mais non reconnues ou à développer. Ceci permettrait de réguler les effectifs de chaque catégorie, recentrée sur son cœur de métier, en fonction de besoins nationaux ainsi évalués, en renforçant les IDE ou autres professionnels bac + 3 ou 5. Et cela devrait permettre de revoir le ratio médecin/infirmières, particulièrement élevé en France et ainsi d’aborder la question de la masse salariale de la santé.
La rémunération est un des non dits de ce projet de Loi alors qu’elle devrait représenter un point crucial de la refonte du système. Le paiement à l’acte consolide la segmentation cloisonnée de la prise en charge entre différents professionnels de santé d’un même épisode de santé, ou d’une même maladie chronique. La valeur donnée par le payeur à ces actes est immuable malgré des différences majeures de contenu. C’est l’acte technique qui est privilégié pour apprécier la valeur financière, aux dépens de la clinique, de la réflexion, du care, ce qui est à l’origine de différences majeures de revenu entre médecins, voire de pratiques inadéquates. D’autres modalités, largement utilisées par d’autres pays dont la population ne parait pas en mauvaise santé (Allemagne, Pays Bas) telle la capitation, les forfaits, doivent être explorées et inscrites aussi dans la volonté législative.
L’avenir de notre système de santé, sa capacité à répondre en équité aux besoins d’accessibilité de tous, et la nécessaire recherche d’efficience nécessitent bien sa refonte en profondeur et méritent plus qu’une généralisation contestable du tiers payant.
Mathieu Monconduit, membre du CA des Semaines sociales de France, pilote de la commission « santé » des SSF.
1– Kervasdoué : le revenu des professions de santé ; La Mutualité française éd. 2014