Par Jérôme Vignon
Quelle que soit l’issue du référendum britannique, son résultat devrait sonner l’alarme auprès des responsables politiques en charge du cours de l’Union européenne et de son avenir. Tel est le sens des interventions récentes fort remarquées d’Hubert Védrine au cours des derniers jours : cet ancien Ministre des Affaires étrangères qui fut aussi longtemps un conseiller personnel de François Mitterrand continue en effet de faire autorité en matière de politique étrangère. Si l’on partage volontiers le diagnostic d’Hubert Védrine on peut être en revanche en désaccord avec les conclusions qu’il en tire.
Rappelons brièvement la thèse de l’ancien ministre, au risque de la déformer. Le référendum britannique n’est que le symbole extrême d’un mal beaucoup plus large qui toucherait l’Europe entière, à savoir le « décrochage des peuples » qui ne se reconnaissent plus dans la construction européenne. Sortie ou pas du Royaume Uni de l’UE, il convient que les chefs d’État et de gouvernement se hâtent de donner un nouveau cours à leur Union pour éviter ce décrochage. Mais quel nouveau cours ? Hubert Védrine n’est à ce sujet guère précis. On comprend cependant qu’il s’agit essentiellement de mieux appliquer le principe de subsidiarité, entendez par là que l’UE devrait être moins intrusive, lâcher du lest, en faire moins pour tout dire. Si je résume en caricaturant : les peuples sont mécontents de l’UE ; pour éviter qu’ils ne la rejettent complètement, il suffirait d’en faire moins. Sans ignorer l’attrait que peuvent avoir de tels propos dans leur simplicité, je conteste cette présentation.
S’il est vrai qu’en nombre de domaines, l’UE (entendons par là le marché intérieur) s’est montrée exagérément tatillonne (encore qu’il faut une certaine mauvaise foi pour ignorer les décisions d’envergure dont elle a la charge au titre de la libre circulation des biens et des services) comment penser que vider l’UE de ses compétences, ou les affaiblir et du même coup réduire encore son efficacité, serait de nature à préserver l’attachement des peuples ? Deux éléments de l’analyse d’Hubert Védrine méritent objection1 :
- Non, les deux issues potentielles du référendum britannique ne sont pas équivalentes La sortie ferait entrer l’UE dans une longue période d’incertitude tant les ajustements juridiques nécessaires pour re-normaliser les relations commerciales et financières entre l’UE et le Royaume seraient longs, complexes et incertains. Son impact sur la visibilité de l’Europe dans le monde ne peut être que négatif avec ce que cela implique pour l’investissement, la croissance et l’emploi. Les élections importantes qui auront lieu en France et en Allemagne fédérale l’an prochain en seront évidemment perturbées. Cette période d’élection rendra difficile l’établissement d’un nouveau cap par le Conseil Européen où le couple Franco-Allemand risque d’être encore plus atone que d’ordinaire. Dire cela n’est pas faire injure aux électeurs britanniques qui auraient voté non. C’est simplement regarder en face la réalité.
- L’arithmétique sur laquelle Hubert Védrine fonde l’analyse du décrochage est fort contestable. Selon lui les électeurs européens se répartiraient en trois groupes : 15/20 % seraient raisonnablement attachés à l’UE mais sans passion, 15/25% sous diverses couleurs populistes ou souverainistes seraient résolument hostiles à la poursuite de l’UE, et 60% seraient devenus eurosceptiques, frustrés ou déçus. Hubert Vedrine ne cite pas les sources de ce décompte qui relève sans doute de l’intuition. Les seules données chiffrées sur les opinions des Européens régulièrement vérifiables proviennent de l’Eurobaromètre. 60% des Européens interrogés répondent « non » à la question « Pensez vous que votre avenir serait mieux assuré hors de l’UE ? » un pourcentage similaire étant observé pour la France et le score des opinions favorables à l’Euro atteint dans l’Eurozone 69%, en France 68% 2.
Il est hasardeux de parler d’un « décrochement des peuples ». En revanche je m’accorderai volontiers avec Hubert Védrine sur la nécessité pour le Conseil européen, privé ou non des Britanniques, de donner un nouveau cours à ce que les Britanniques nomment justement « European Politics », c’est à dire non seulement les décisions au jour le jour sur les politiques commues existantes, mais aussi les finalités, le cap général que l’on poursuit face à un monde bouleversé, de plus en plus hostile et contraignant. Le cap du lâcher du lest – qui est en fait le cap défendu par Hubert Védrine depuis longtemps – n’est-il pas autant responsable du désamour européen que les excès de la technocratie européenne ?
L’Europe est à l’image d’une Montgolfière qui perd de l’altitude. Pour éviter la chute, jeter du lest ne suffira pas. Il faut lui redonner du souffle et de la profondeur. Un peu ce que recommandait le Pape François en invitant à ne pas consentir à une Europe du vide, oublieuse de sa culture, de son histoire et du modèle de société dont elle porte, dans la diversité de ses membres, les traces si voyantes.
Particulièrement si le Brexit l’emporte, les contradictions qui frappent le pilotage de l’UE s ‘aviveront, autour de l’Euro et de la politique migratoire commune. Pour être efficace, face aux vents qui se lèvent, il faut renforcer et non affaiblir ces politiques ce qui suppose de renouer avec un projet de société européen social et environnemental, ce qui va de pair avec une politique étrangère et une défense intégrées.. Ce n’est pas le plus probable. Mais à la différence du simple lâcher du lest et plus encore de la rupture qui n’engendrent aucun cercle vertueux, cette vision a pour elle la cohérence.
Si l’on songe aux dossiers qui brûlent, comme l’énergie, les relations avec la Russie, la lutte contre les désordres financiers, l’accueil des réfugiés il y a lieu non de « faire une pause » comme le recommande Hubert Védrine, mais de se mettre autour d’une table pour se demander entre nations européennes ce que nous voulons être et faire ensemble.
Jérôme Vignon, président d’honneur des Semaines sociales de France
Je serais plutôt de l’avis d’Hubert Védrine : l’Europe en fait beaucoup trop dans le domaine réglementaire et pas assez dans le domaine politique. Face aux grands défis du monde actuel, il n’est pas évident que le domaine économique soit le plus important; par contre, nous avons besoin d’une Europe politique si nous voulons peser un peu dans les options du monde du 21ème siècle.
Je ne suis expert dans aucun de ses domaines, et en plus je suis vieux. Mais je m’exprime simplement comme le pékin moyen qui rencontre pourtant pas mal de gens de son avis.
Bon courage !
Puisque l’on parle beaucoup de référendum, pourquoi ne pas en faire un à l’échelle européenne en demandant aux participants de classer les sujets prioritaires à traiter en Europe (un référendum avec une question « pour » ou « contre » est irréaliste et inutile) ? Par exemple environnement, sécurité, politique étrangère, fiscalité, social, emploi, etc …