Par Denis Vinckier
Le 14 novembre dernier, j’ai assisté avec quelques amis au centenaire de la mort de Léon Harmel à Reims. Nous aurions pu en rester là avec un récit de voyage mais hier, dans un petit restaurant parisien aux portes des jardins du Luxembourg, voilà qu’un ami m’interpelle : « Et moi qui avait rangé Léon Harmel dans la valise des paternalistes d’une certaine époque…Enfin c’est ce que l’on avait bien voulu me raconter….Je découvre que c’est un sacré révolutionnaire pour son époque ».
Il n’en fallait pas plus pour que je lui dise que la CFTC venait de mettre en ligne une chronique sans ambiguïté : un traitre au sein du patronat ! Une chronique où l’on apprend que Léon Harmel avait tout simplement entrepris de faire de son usine une communauté de travail où les salariés étaient eux-mêmes les dirigeants des œuvres sociales. Et horreur, il avait tout simplement organisé la participation des travailleurs à la direction de l’entreprise avec les conseils d’usines, composé d’ouvriers élus se réunissant avec leur dirigeant tous les 15 jours. Avec une ambition qui n’était pas mince pour l’époque : donner un avis pour toute modification de salaire, pour les questions d’accidents, d’hygiène, d’apprentissage et de travail, et étudier les réformes qui pourraient faciliter le travail et le rendre plus efficace.
Et le chroniqueur de nous inviter à lire une des déclarations « délirantes » de Léon Harmel : « Comment un ouvrier peut-il s’intéresser à son travail si le patron le laisse ignorant de toute la marche de l’usine, s’il ne l’intègre pas pour ainsi dire dans tous les rouages, ne lui laisse pas l’initiative nécessaire au développement de sa personnalité ? Toutes ses bontés, en dehors de cela, passeront à côté, ce sera la générosité du riche vis-à-vis du pauvre, ce ne sera plus la compréhension fraternelle, l’amour véritable ».
C’est un fait, Léon Harmel a été précurseur du dialogue social dans l’entreprise. On dirait les choses ainsi aujourd’hui. En créant les conseils d’usine, il a préfiguré les comités d’hygiène sécurité (CHSCT). Avec les conseils d’usine testés dans le cadre du Val des Bois, nous sommes là en présence d’expériences audacieuses pour l’époque. D’autres sont allés dans le même sens : l’abbé Jules Lemire avec ses jardins-ouvriers ou plus tard Eugène Duthoit avec ses cités-jardins. Toutes ces initiatives ont visé à créer certes des conditions meilleures pour ceux qui avaient une force de travail à offrir. Mais davantage, elles ont aussi offert des possibilités d’ouverture, de culture, de considération, de respect de la dignité humaine.
Léon Harmel, à partir de ces initiatives et de son propre charisme, a cherché à convaincre le Pape de l’époque Léon XIII. Il a su faire la démonstration au Pape Léon XIII de la richesse et la fécondité de ce dialogue avec ses propres ouvriers. Il en a emmené des milliers à Rome dans le cadre de véritables pèlerinages. Léon XIII s’est incontestablement inspiré de ces échanges pour produire sa grande encyclique Rerum Novarum sur le salaire juste en 1891. Léon Harmel a cherché à diffuser cette encyclique qui était un peu la sienne et il a trouvé des alliés comme le Cardinal Langénieux. Il a fondé les Semaines du Val pour approfondir l’encyclique. Aux Semaines du Val, on retrouve côté à côté, Léon Harmel, Jules Lemire, Marc Sangnier et un certain Marius Gonin ! Dans la foulée, les semaines sociales sont nées en 1904. Toutes ces initiatives ont visé à populariser l’encyclique de Léon XIII, pour la traduire dans les faits.
Aujourd’hui, l’encyclique de 1891 et celle de 1892 sur le ralliement des catholiques à la République restent deux grands repères pour les semaines sociales de France. La question sociale revient régulièrement dans des travaux de session. Elle est une question qui demeure. En 2013, les Semaines sociales ont mis en débat le «livret personnel universel », qui inaugurait le Compte personnel d’activité lequel fera l’objet d’un projet de loi en 2016.
Avec l’encyclique Laudato Si, le Pape François encourage les catholiques d’aujourd’hui à se mettre en chemin. Comme au XIXème siècle, les sujets à travailler ne sont pas forcément majoritaires, ni faciles. C’est le travail réalisé qui permet à partir des expériences et réalisations concrètes d’emmener vers des prises de conscience plus larges, voire des généralisations. Telle est la conviction des Semaines sociales depuis plus de 110 ans. Elles ont eu l’occasion de saluer la mémoire de Léon Harmel dans le cadre du centenaire de son décès. Un centenaire qui ramène aux racines et donne des ailes !
Denis Vinckier, membre du conseil des SSF, président de l’antenne des SSF Nord-Pas-de-Calais
www.leonharmel.com Ce site vous propose dès à présent des versions scannées (et téléchargeables) de livres et discours de Léon Harmel, dont l’incontournable Catéchisme du Patron. Deux ans avant Rerum Novarum, il y développait quelques thèmes très présents dans l’encyclique. Ce site va s’enrichir au fur et à mesure, et vous pouvez l’ajouter à vos favoris !
Illustration : Le Val des Bois, béguinage industriel du à la famille Harmel, par G. Garitan
Merci à Stefan Gigacz de la Communauté Internationale Cardjin de nous avoir fait découvrir ce merveilleux texte qui nous confirme l
Ce texte qui nous confrme la pertinence de ces actions passées, et qui nous interpellent encore face aux défis de ce temps. Il nous rappelle l’essentiel : Regarder et observer les situations de travail, y réfléchir lucidement, en y associant tous ceux concernés,
et Agir pour le mieux-être de l’ensemble