Par Catherine Belzung
Le 17 novembre dernier, les décrets d’application de la Loi Jardé relative aux recherches faites sur la personne humaine sont enfin parus, 4 ans et demi après le vote de la Loi (mars 2012) : un délai record ! En Europe et en France, ce type d’expériences scientifiques était déjà fort réglementé par des dispositions législatives contraignantes pour les recherches dites interventionnelles, comme par exemple celles qui consistent à tester les effets d’un médicament, mais le nouveau texte réglemente aussi davantage les recherches dites non interventionnelles, comme par exemple celles qui consistent faire des observations sur des populations humaines sans aucune forme d’action visant à en modifier le comportement ou la santé (étudier les effets de tel type d’alimentation sur la survenue de certaines maladies en étudiant les achats effectués par ces personnes au supermarché, sans pratiquer une intervention comme la passation d’un questionnaire par exemple). Voilà l’occasion de faire le point sur les enjeux éthiques sous tendant ce types d’expérimentations…
Ces lois préservent bien sûr l’intérêt des personnes soumises (toujours volontairement) à ces recherches, ce qui est fort heureux, mais en même leur portée est limitée, car elles ne concernent logiquement que les pays qui les appliquent. Conséquence : les entreprises pharmaceutiques et les chercheurs, qui vivent dans un horizon international, peuvent être tentés « d’aller voir ailleurs » pour échapper à la contrainte du cadre légal. Et de fait, ces dernières années, les expériences chez l’Homme ont rapidement migré vers les pays du Sud, où les législations sont moins contraignantes et où il est plus facile de trouver des sujets n’ayant pas déjà été exposés à des traitements classiques, en raison de l’insuffisance de leur système de santé. Quelle est l’étendue du problème ? Difficile à appréhender mais on estime par exemple que entre 2005 et 2012, la mort de 2644 indiens est due à des essais cliniques non éthiques entrepris par des industries pharmaceutiques occidentales). L’Inde a répondu à cette hécatombe par la mise en place d’une législation un peu plus contraignante. Cela n’a cependant pas empêché la réalisation en 2015 d’une autre étude, toujours en Inde : il s’agissait de tester l’efficacité d’un nouveau vaccin contre le rotavirus. Il existait déjà deux vaccins contre ce virus : pourtant, la recherche en question a consisté recruter 6800 enfants, dont les deux tiers allaient être traités avec le nouveau vaccin, et un tiers allait être traité avec.. du placebo (les personnes seraient donc directement exposées au virus, sans aucune forme de protection), les exposant inutilement à des risques élevés, alors qu’ils auraient pu être traités par les vaccins existant déjà sur le marché ()! Cette pratique serait tout simplement interdite dans les pays industrialisés, où tout nouveau traitement/vaccin est comparé à des traitements/vaccins existants, et non à des placebos. Bien entendu, les enjeux sont colossaux, sur le plan financier, mais pas seulement. En effet, non seulement ces études sont bien moins chères pour les industries que si elles se pratiquaient dans les pays industrialisés, mais en plus il est beaucoup plus facile de révéler un effet lorsque ce dernier est comparé à un placebo que lorsqu’on le compare à un traitement s’étant déjà montré efficace.
Que faire pour lutter contre ces pratiques inadmissibles ? Plusieurs solutions sont envisageables, et il faudrait sans doute, devant l’étendue de ce fléau alarmant, en mettre en œuvre plusieurs de façon conjointe. Tout d’abord, il faudrait interdire l’absence de placebo dans les dossiers réglementaires (les dossiers que les industries doivent soumettre pour obtenir la mise sur le marché de leurs médicaments) : si cela était le cas, les industries ne pourraient plus mettre sur le marché une substance qui aurait été testée dans ces conditions, et cela supprimerait de fait cette pratique. Il faudrait aussi modifier la politique éditoriale des journaux scientifiques dans lesquels les résultats de ces études sont publiés. Cela s’est fait avec succès pour l’expérimentation animale : quand une expérience est réalisée en dehors du respect de certaines règles, elle ne peut tout simplement pas être rendue publique, ce qui rend la recherche inutile et a comme conséquence de la faire disparaitre. Mais le levier le plus puissant serait sans doute de développer la formation éthique chez les acteurs, car la meilleure arme pour lutter contre ces pratiques d’un autre temps reste sans doute une conscience morale droite et éclairée, bien plus que la réglementation. Des formations internationales pourraient être mises en place par des institutions internationales reconnues, par exemple sous forme de MOOC accessibles facilement.
Catherine Belzung, Professeure de Neurosciences, Membre de l’Institut Universitaire de France