Par Dominique Quinio
L’étonnement avec lequel médias, analystes politiques, sondeurs et même responsables de partis, républicain ou démocrate, accueillent le résultat de l’élection présidentielle aux Etats-Unis est en soi une clef de compréhension de ces résultats. Cette « élite », cet « establishment » comme l’on dit outre-Atlantique, ne sait plus lire son pays, son peuple. Et le monde, peut-être, ne sait plus lire l’Amérique.
Les écarts de richesse et les milliardaires n’ont jamais rebuté les Américains ; l’argent, la réussite ne sont pas pour eux des gros mots. Tant que le « rêve » de la réussite pour tous est à portée de main. La mondialisation, dans ce pays qui paraissait plus que d’autres apte à en affronter les vents, a divisé le pays en gagnants et en perdants. Les premiers sont très visibles dans leurs espaces de succès, tels la symbolique Silicon Valley, les universités de prestige, les prix Nobel de sciences ou de médecine, le cinéma ou les séries télévisées, le sport de haut niveau… Les autres sont médiatiquement transparents ; ils n’ont pas la parole, ou si peu ; ils n’habitent pas les grandes villes ; ils cumulent plusieurs petits « jobs ». Et, dans les urnes, ils se sont révoltés. Parmi eux, se comptent des citoyens afro-américains ou hispaniques, des femmes, que les propos de Donald Trump semblaient à jamais éloigner d’un vote républicain. Pourtant eux aussi ont choisi de faire confiance à cet homme célèbre mais inconnu en politique. Le refus d’Hillary Clinton, trop connue et honnie, le rejet du « système », les ont conduits à adouber celui qui se fait fort de le combattre.
Au-delà de ses outrances et de sa vulgarité, c’est sur la fibre sociale qu’a pu jouer Donal Trump : il a promis de protéger les plus faibles de la mondialisation. Son premier discours marque un ton radicalement différent de celui, violent, de sa campagne : finies les injures et main tendue aux adversaires. Pourra-t-il, une fois aux affaires, tenir toutes ses promesses et ne pas décevoir ceux qui ont cru en lui ? La politique réelle devrait le rattraper assez vite, même si ses toutes premières décisions peuvent fondamentalement engager l’avenir du pays, de son peuple et du monde entier.
Après le référendum du Royaume-Uni en faveur du Brexit, après ce coup de tonnerre américain, l’Europe forcément se regarde elle-même. Les élections françaises et allemandes se profilent, révélant les mêmes fractures, les mêmes incompréhensions. L’élection américaine sera-t-elle un coup de pouce bienvenu à des partis qui se sentent proches des idées de Donald Trump ? Marine Le Pen fut la première responsable politique française à le féliciter et féliciter le peuple « libre » qui l’aura élu. Ses premiers mois de présidence, au contraire, aideront-ils à dégonfler quelques inquiétantes baudruches, quelques promesses intenables et à mettre en lumière les virages dangereux ?
Peu importe. Ce qui ne changera pas, c’est le signal d’alarme, le sentiment d’abandon d’une partie de la population ; c’est la peur devant la mondialisation, l’immigration ; c’est la crainte du déclassement pour soi, ses enfants et son pays ; c’est le rejet d’une classe politique que l’on juge lointaine, avide et incapable de changer le cours des événements. En France, candidats potentiels et électeurs ont quelques mois pour balayer devant leur porte. Non pour faire du « copier-coller », du pseudo-Trump, mais pour trouver des réponses claires à l’inquiétude de la population, des réponses qui ne flirtent pas avec l’extrémisme, le rejet de l’autre, l’enfermement sur soi.
Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France