Par Jean-Pierre Rosa
Une émission récente sur les camgirls, ces jeunes filles qui se dénudent devant leur webcam afin d’attirer le client dans des chats privés et payants, suscite un certain trouble et pose quelques questions.
Comment des personnes sensées peuvent-elles payer un aussi étrange et piètre « service » ? Comment des jeunes filles, elles aussi sensées, peuvent-elles se livrer, des heures durant à une activité certes lucrative mais aussi harassante et déstructurante sans craindre pour leur santé mentale ? Comment, hormis l’appât inextinguible du gain, des développeurs informatique et des gestionnaires (tous des hommes, remarquons-le en passant) peuvent-ils se livrer toute honte bue à une activité aussi « sensible » moralement ?
Mais surtout comment qualifier cette relation sexuelle étrange où les corps jamais ne se touchent ? Et comment qualifier la transaction ? Selon que l’on est plus ou moins sensible, plus ou moins prude, on parlera, ou non, de prostitution, (ce que les intéressées récusent avec force).
Peut-être parce que la prostitution désigne, au fond, une relation sexuelle déliée, par l’argent, de son risque majeur : le risque de la rencontre, c’est à dire de l’attachement – comblé ou déçu.
Derrière leurs webcams les contractants, exhibitionnistes et voyeurs, en rajoutent une couche : il ne leur suffit pas d’écarter, par l’argent, tout risque d’attachement, il leur faut aussi écarter le contact physique lui-même ! Une sorte d’hyper défense, d’immunité absolue contre ce danger qui menace toute relation authentiquement humaine : le risque. Quelles infirmités personnelles et sociales supposent et engendrent de telles relations aseptisées !
Doit-on légiférer sur de telles pratiques ? L’indignation y invite mais on est alors aussitôt renvoyé à deux questions : le niveau géographique où doit s’exercer la justice et la qualification du délit. Le niveau géographique n’est pas évident : les camgirls Roumaines visualisées aux Etats-Unis relèvent-elles du droit roumain, américain ou d’une sorte de super droit international ? Quant à la qualification du délit, peut-on retenir l’idée d’une forme, virtuelle, de prostitution ? Mais la prostitution elle-même n’est pas délictueuse partout de la même manière. Bonne nouvelle : la loi sur la prostitution va évoluer en France avec trois idées forces centrales : criminaliser le client, reconnaître aux prostituées le statut de victimes et les aider à la réinsertion.
D’une façon plus globale, ne faut-il pas avancer, sans doute avec prudence mais cependant résolument sur cette idée, soutenue dans un tout autre domaine, celui de la GPA : le corps humain ne peut faire l’objet d’un contrat. Encore faut-il savoir que notre sensibilité très française à l’imperfection du mode de relation établi par le contrat n’est pas partagée par toutes les cultures. Les Anglo-saxons notamment devraient, sur ce point, entrer en dialogue avec la vieille Europe méditérannéenne de façon plus soutenue.
Jean-Pierre Rosa