Par Pierre-Yves Stucki,
La libéralisation du travail dominical refait surface à la faveur d’une intervention remarquée du Premier ministre devant des chefs d’entreprise. La question n’est pas un tabou absolu : il y a des métiers où l’on travaille le dimanche depuis longtemps. Ces exceptions étaient historiquement justifiées parce qu’elles contribuaient à prendre soin de la société, soit pour la protéger (sécurité, santé), soit pour permettre de se retrouver autour de ce qui unit (transports, métiers de bouche, loisirs et culture…). Mais les dérogations se sont multipliées, rendant illisible cette justification. Il serait donc juste de repenser l’organisation du travail dominical pour restaurer le consensus sur cette journée de repos.
Mais c’est avec de toutes autres intentions que le débat resurgit. C’est une des 10 mesures du Medef pour créer de l’emploi : « permettre le commerce le soir et le dimanche pour ceux qui le veulent », avec l’estimation de 20 000 à 40 000 emplois créés. Plus de référence à une vision collective du temps social, seuls resteraient des accords particuliers. Or cette question ne peut être jugée à la seule aune de la relation entre l’employeur et son salarié : c’est un vrai choix de société. On a déjà beaucoup parlé de l’importance de préserver ce jour de repos commun pour que la relation marchande ne soit pas le mode ultime de socialisation. Mais l’aspect économique lui-même est contestable.
La prévision d’emplois créés repose en effet sur l’espérance d’un report de l’épargne vers la consommation. Mais si l’épargne des Français atteint aujourd’hui un niveau élevé c’est principalement par crainte de l’avenir, en particulier des retraites. Multiplier les occasions de consommer – déjà nombreuses avec le développement des achats par internet – ne changera pas la donne.
Il y a en outre une contradiction avec un autre discours, qui présente les charges sociales comme le principal frein à l’embauche. Si tel est le cas, on voit mal comment le travail dominical, compensé par un doublement du salaire et du repos compensateur, donc à un coût bien plus élevé, constituerait une situation favorable à la création d’emplois.
Le risque majeur de la libéralisation du travail dominical est la prise en otage d’une préoccupation légitime (la croissance et l’emploi) pour justifier des mesures qui vont, en fin de compte, servir essentiellement des intérêts particuliers. Cette crainte n’a rien d’illusoire. Elle se fonde par exemple sur l’expérience de la baisse de TVA dans la restauration, obtenue contre la promesse de 40 000 emplois créés. Quand elle fit le bilan, la Cour des comptes en comptait au plus 6 000, pour un coût énorme pour la collectivité, sans que les consommateurs, le plus souvent, ne voient de baisse de prix, ni les employés de hausse salariale.
Ne laissons pas le dimanche faire à son tour l’objet d’une bien mauvaise affaire.
Pierre-Yves Stucki, membre du Conseil des Semaines sociales de France
Illustration : Marc Lagneau, CC BY-ND 2.0
Confirmation supplémentaire de l’inanité économique de la libéralisation du travail dominical : le PDG de Bricorama, grand partisan de cette ouverture, vient d’avouer dans le magazine de son groupe que cela ne leur avait rapporté aucun client supplémentaire en 2013 !
http://touslesbudgets.com/content/ouverture-dominicale-pas-plus-de-clients-en-2013-selon-le-pdg-de-bricorama