Par Mathieu Monconduit
« Faire des enfants me permet de rester jeune ! » déclare Annegret Raunigk. Gageons que cette mère allemande de 13 enfants en accouchant par césarienne à 65 ans de quatre enfants, aura durablement prolongé sa jeunesse. Certains parlent de quadruplés, mais allez savoir s’ils ont partagé quelques gènes, en sus de l’utérus maternel, car chacun de ces enfants est le fruit de la fécondation d’ovocytes anonymes par des spermatozoïdes tout autant anonymes. Cette fécondation a été effectuée dans un centre de procréation ukrainien, subventionnée par certains médias allemands ( l’Ukraine ne finançant pas ces pratiques qu’elle laisse se développer) avant que la mère ne poursuive sa grossesse dans son pays, l’Allemagne. Le doute aurait pu venir de la contribution, au moins partielle, de nouveaux compagnons de cette femme qui avait déjà choisi 5 pères différents pour ses 13 premiers enfants ; mais non, ces gamètes provenaient de donneurs anonymes, dont les médias ne disent pas s’ils ont été tenus au courant de ce projet parental innovant…
Cette histoire ne mériterait pas de sortir des colonnes de la presse allemande à sensation, ni de ses relais européens, si elle ne confirmait aussi, avec démesure, une nouvelle forme de contournement des pratiques légalement admises en bioéthique. Leur négation, inaugurée avec la gestation pour autrui, conduit de plus ici à un engagement financier, non maitrisable, de la collectivité. Examinons le cas dans le cadre des législations allemandes et françaises.
L’assistance médicale à la procréation (AMP), dans ces deux pays, est destinée à répondre à la demande de manque d’enfant d’un couple stable, en âge de procréer, quand existe un problème médical. Cette femme, qui se dit célibataire, ménopausée, avait pourtant montré dans le passé ses capacités de procréation et la demande d’enfant provenait de la dernière née, âgée de dix ans, demandant un petit frère.
Les embryons ont été obtenus par double don, d’ovocytes et de spermatozoïdes, ce qu’interdit la législation française et ne permet pas la législation allemande. La France exige que l’une des gamètes provienne du couple, tandis que l’Allemagne n’admet pas le don d’ovocytes, au motif que l’enfant a le droit de n’avoir qu’une mère la fois génétique et gestatrice.
L’anonymat des donneurs reste la règle en France tandis que l’Allemagne admet que l’enfant, à l’âge de 18 ans puisse connaître l’identité du donneur de sperme, ce qui sera ici complexe, l’Ukraine imposant l’anonymat des donneurs de gamètes.
L’ accompagnement financier de l’AMP par les collectivités tant allemande que française, dans les situations rappelées ici, risque d’être ici important et prolongé. Les quatre enfants sont nés à Berlin, avec des poids de naissance de 650 à 950 grammes, ce qui impose de longues semaines de soins en milieux spécialisés avant d’être rendus à leur mère et surtout expose aux risques d’handicaps variés associés aux grandes prématurités, pouvant
nécessiter des soins durant toute la vie.
Dans le domaine des pratiques médicales relevant de la Bioéthique, les réglementations et jurisprudences européennes varient grandement d’un pays à l’autre, témoins de la diversité de leurs cultures.
De ces règles dépendent ensuite les financements engagés au titre de la solidarité par chaque pays pour solvabiliser ces pratiques. Le parcours de Madame Raunigk, passant d’un pays à l’autre au gré des réglementations et des financements, démontre que les lois de l’Etat dont nous sommes citoyens peuvent être mises à mal par un désir d’enfant, si extravagant soit-il. Quand cela entraîne une affectation de ressources collectives allant à l’encontre de ce que la collectivité avait retenu, il y a lieu de réfléchir à nouveau à la définition de ces règles et à leurs financements. Le faire à l’échelon de l’Union européenne serait utile.
Mathieu Monconduit, membre du conseil des Semaines sociales de France