Par Donatien Lecat
En principe, ce jeudi 24 mars 2016, sera présenté en Conseil des ministres, le projet de loi « Travail » qui avait réuni contre lui, mercredi 9 mars, entre 224 000 et 450 000 manifestants dont plus de 100 000 jeunes, et qui avait provoqué une pétition réunissant plus d’un million de signatures à ce jour pour demander l’abandon du projet. Si bien que le 14 mars après-midi, le Premier ministre et la ministre du Travail recevaient les organisations syndicales et annonçaient une réécriture du projet. Bref, le gouvernement qui envisageait de passer en force au Parlement en utilisant le fameux article 49, alinéa 3 de la Constitution, vient de lâcher du lest sur un projet « ambitieux », puisqu’il s’agirait, ni plus ni moins, de « fonder le code du travail du XXIe siècle ».
Le problème est que cette grande entreprise est noyée par des mesures hasardeuses, telles que le plafonnement des indemnités de licenciement y compris en cas de licenciement injustifié, la négociation d’entreprise comme échelon principal de la détermination des relations collectives de travail, ou encore le déblocage des plafonds horaires sur certaines périodes… En forçant le trait, beaucoup y ont vu le retour des conditions de travail décrites par Zola dans Germinal.
Sans souscrire à une telle analyse excessive, il nous semble néanmoins que ce projet de loi suit une pente qui peut se révéler dangereuse pour les droits des travailleurs. Sous prétexte de lutter contre le chômage, contre lequel « on n’a pas tout essayé » selon Myriam El Khomri, le gouvernement est prêt à détricoter le droit du travail, sans pour autant afficher clairement sa vision du droit du travail de demain.
Face au marché devenu total et global, il n’y aurait d’autres issues que de raboter tous les droits acquis par les travailleurs depuis 1848, date des premières lois sur le temps de travail en France. Il est utile de se plonger dans les écrits du professeur Alain Supiot, Professeur au Collège de France et spécialiste du droit du travail, pour comprendre les ressorts d’un tel projet. Dans la préface d’une réédition d’un ouvrage collectif Transformations du travail et le devenir du droit du travail en Europe (Flammarion, 2016), il écrit : « Le droit du travail est dénoncé dans tous les pays européens comme le seul obstacle à la réalisation du droit au travail. A l’image du président Mao guidant le Grand Bond en avant, la classe dirigeante pense être l’agent historique d’un monde nouveau, dont l’avènement inéluctable exige de la population le sacrifice de toutes les sécurités acquises. Cette fuite en avant est éperdue chez les gouvernants des pays de la zone euro. S’étant privés de tous les autres instruments de politique publique susceptibles de peser sur l’activité économique, ils s’agrippent au seul levier qui leur reste : celui de la déréglementation du droit du travail. Agrippement d’autant plus frénétique qu’ils sont désormais placés sous la menace des sanctions prévues par les traités, mais aussi et surtout de la perte de confiance des marchés financiers […] Relayé quotidiennement dans les médias […], l’appel à ces « réformes courageuses » est un mot d’ordre si rabâché depuis quarante ans, qu’on en oublierait presque l’obscénité du spectacle donné par ceux qui, cumulant souvent eux-mêmes les sécurités du public et les avantages du privé, dénoncent au nom des outsiders les avantages extravagants dont jouiraient les insiders et n’ont de cesse d’opposer les chômeurs aux smicards, les précaires aux titulaires d’un emploi stable, les salariés aux fonctionnaires, les actifs aux retraités, les immigrés aux indigènes, etc. »
Comment peut-on en effet, proposer de plafonner les indemnités de licenciement pour les cas de licenciement abusif, sans y voir la possibilité de nier purement et simplement la dignité du salarié qui subit un préjudice important de la part d’un employeur indélicat ? De plus, aucune étude sérieuse ne prouve qu’en rabotant les droits existants et en insécurisant les travailleurs, la création d’emplois serait plus facile.
Cependant, il est sûr que le droit du travail doit être réécrit, allégé et simplifié. A la loi de fixer le principe, au décret de poser les règles d’application, à la négociation collective d’appliquer le droit aux particularités de la branche ou de l’entreprise. Mais il faut aller plus loin pour une vraie réforme ambitieuse : unifier les régimes de retraites du privé et du public, créer de réelles passerelles sécurisantes entre salariat, fonctionnariat et entreprenariat, plus largement abattre tous les corporatismes qui sclérosent notre pays, renforcer le droit à la formation professionnelle en fonction des besoins des entreprises. Il faut aussi baisser le coût du travail, abaisser et sécuriser la fiscalité des entreprises pour leur donner une vraie prévisibilité économique, et cesser de les prendre pour des vaches à lait. Il faut aussi certainement resserrer les boulons des frontières économiques, comme savent si bien le faire certains de nos partenaires économiques. Ce sont là des pistes pour créer les conditions d’une réelle et durable flexibilité du marché du travail.
En définitive, ce projet de loi, risque de n’être qu’une « réformette » de plus, qui aura donné l’impression de faire triompher l’ultralibéralisme ambiant, sans pour autant permettre de libérer les énergies créatrices d’emplois. Ce projet de loi, impensé, ne révèle aucune vision d’un avenir construit. Il est donc voué à l’échec. La France a besoin de réformes audacieuses. Pour cela, il faut à la fois du temps, pour bien en définir les contours et la vision de l’avenir vers lequel on tend, mais il faut aussi du courage politique. L’année prochaine, pourra être l’année des vraies réformes. Espérons.
Donatien Lecat, juriste, Semaines sociales en Anjou
Il y a quelque chose de pathétique dans la capacité de nos élus à nous désespérer.
Jacques Clavier