Par Jean-Pierre Rosa
Le principe de l’avantage concurrentiel est simple : si je propose un produit innovant et demandé, je détiens un avantage sur mes concurrents. Ce principe fonctionne entre entreprises mais aussi entre États, voire, dans une moindre mesure et lorsque les circonstances y portent, entre individus. Il est particulièrement mis en œuvre – sous sa forme la plus brutale – en temps de guerre. Il est alors source de découvertes techniques et scientifiques accélérées dans tous les domaines. En temps de paix, c’est ce principe qui fait du marché une sorte d’organisme vivant, où les acteurs passent leur temps et leur énergie à produire des avantages concurrentiels, à les maintenir ou à attaquer ceux de leurs concurrents. Entre individus, il est la plupart du temps subi : ce sont alors un certain nombre de capacités humaines qui sont mobilisées : vitesse d’exécution ou de compréhension, adaptabilité etc. Dans le cas du sport, il utilise non seulement les caractéristiques personnelles mais aussi la technique – tant qu’elle est légale et qu’un souci d’égalité entre les concurrents n’est pas venu en réguler l’usage.
Si l’on peut discuter de la moralité ou de l’immoralité de ce principe en revanche il paraît difficile de ne pas tomber d’accord sur le fait que le marché, tel que nous le connaissons, repose sur lui. Il entraîne cependant un effet qui est rarement mis en avant : la vitesse et l’accélération. En effet, qu’il s’agisse de la guerre, de la compétition sportive ou commerciale, le fait d’arriver avant l’autre – ou les autres – est le facteur essentiel de réussite. L’avantage concurrentiel peut ainsi se représenter de façon triviale comme une course où il s’agit d’aller toujours plus vite pour devancer des concurrents qui raisonnent de la même manière. Nous sommes ainsi tous entraînés, bon gré mal gré, dans une course que l’on peut bien qualifier d’infernale car elle n’a aucun terme.
Le sentiment de vitesse et d’accélération que nos contemporains ressentent souvent n’est pas une illusion mais le produit d’un système. L’apparition et la fréquence de plus en plus grande des maladies psychiques liées à l’accélération sociale du temps – du burn out au suicide – devient un réel fléau social et pose un problème de fond à nos sociétés. La dépression – qui n’est pas sans lien avec l’accélération – figure en effet déjà en quatrième place des maladies dans le monde et, selon une étude de 2003 de l’OMS, devait atteindre la deuxième place en 2020. En réalité, elle l’a atteint en 2010 !
Pourtant, lorsque l’on réfléchit de près à ce principe de l’avantage concurrentiel qui est en grande partie à la source de l’accélération, on ne voit pas bien comment s’en exonérer. Les déclarations sur l’urgence de ralentir par exemple, ne résistent pas longtemps à l’analyse.
Qui investira dans la recherche sur ce phénomène ? Qui osera mettre en avant la lenteur comme avantage concurrentiel ? Qui mobilisera les résistances sociales à l’accélération non pas dans un sens « réactionnaire », ni en capitalisant sur un retour à la « tradition » comme … avantage concurrentiel justement, mais dans le sens d’un progrès en humanité ?
Jean-Pierre Rosa, membre des SSF