Par Jean-Pierre Rosa
La récente fête des mères a été l’occasion de nombreux articles, dont un, excellent, décrit l’injonction à l’excellence maternelle qui s’étale sur les réseaux sociaux.
Pour ma part j’ajoute à cette pression sociale d’un nouveau genre deux clichés : tout d’abord celui véhiculé par les innombrables séries de femmes-flics qui ont tous les dons – y compris physiques – des hommes, sauf qu’elles vivent sans mais s’épanouissent dans une maternité toujours exaltée et toujours, au bout du compte, assumée et réussie. A croire que tous les postes de cadres de la police sont occupés par des femmes seules sportives avec enfants ! L’autre cliché est moins répandu mais il est tout aussi étrange : il s’agit de Super Nanny. Tout le monde connaît cette émission de téléréalité où une femme, seule encore, prend sévèrement les rênes d’une éducation à la dérive et remet en ordre la situation grace à sa fermeté et à son autorité naturelle. Pour bien montrer à quel point les pères sont absents de tous ces clichés, essayez mentalement de mettre un homme à la place de l’actrice et d’appeler l’émission Super Papy !
Clichés, pression, auto-injonction. Lorsque le corps social en rajoute ainsi, c’est que la réalité ne marche pas aussi bien qu’on voudrait le faire croire. Retour au réel : la pauvreté touche avant tout des familles monoparentales, soit des femmes seules avec enfants. Rien de l’image idyllique véhiculée par les médias et intégrée sur les réseaux sociaux. A l’évidence les mères ont besoin des pères ! Mais personne ne veut le voir. Pourquoi, parce que la grande injonction de la pensée néo-libérale c’est que l’on peut – et même que l’on doit – être heureux, épanoui, tout seul, sans l’aide ou le besoin de personne. L’homme qui se fait lui-même, le « self-made man », tel est l’idéal, mille fois dénoncé de notre société. Alain Ehrenberg avait écrit jadis « La fatigue d’être soi ». Qui dira la fatigue d’être une femme et une mère seule, isolée ?
Jean-Pierre Rosa, membre des SSF
Désolée, mais la version masculine de super Nanny existe et a un franc succès (auprès du même public, et avec la même recette : enfant qui part à la dérive, faute de repères et de communication). Ca s’appelle « Pascal le grand frère ».
Pourquoi super Papy? La « Nanny » c’est la nounou, pas la grand-mère.
De plus il y a souvent des pères, chez super Nanny comme chez Pascal le grand frère, ils sont là mais ne savent pas s’y prendre et le public en redemande.
Quant aux femmes flics, elles reflètent la réalité : homme parti, carrière inconciliable avec une vie de famille équilibrée et donc explosion du couple, et enfants qui naviguent d’un parent à l’autre. Pour enchaîner leurs horaires, ces femmes ont soit un poste bien payé avec des « nounous » soit un ex- qui prend son tour de garde, soit les deux. Parce que les enfants, ont ne les voit pas souvent !!!
Les séries de « femmes flics » sont au contraire au coeur de la réalité des mères célibataires ayant des moyens financiers et assumant ensuite leur liberté affective et sexuelle. Car bien sûr leur caractère « solo » est surtout une nécessité scénaristique, celle d’avoir une héroïne libre avec qui on va pouvoir créer de multiples rebondissements non seulement policiers mais surtout amoureux et sexuels, et cela pour assurer de l’audience au public. Dans ce contexte, la présence d’enfants sert à la fois à « humaniser » la femme-flic (car une femme sans enfant n’est pas une « vraie femme » ;-(, cliché quand tu nous tiens, il faut bien qu’elle soit douce et tendre parfois et les enfants sont là pour cela, nous rassurer sur la féminité du personnage…évidemment les hommes n’ont pas besoin de cela…. pffff) et à multiplier les sources de suspense avec tout ce que la présence d’enfants permet (enlèvement, menaces, difficulté avec un potentiel conjoint pour reconstituer un couple, pour gérer carrière et famille).
On est au contraire souvent dans la réalité de la maman solo qui n’est pas pauvre, coeur de cible de ces séries. Je note le plus grand réalisme des séries policières américaines sur ce sujet d’ailleurs. On y voit le couple exploser, l’enfant souffrir, le divorce conflictuel, la femme parfois subir une enquête des services sociaux « malgré » sont poste élevé parce que soupçonnée de délaisser l’enfant en raison du travail, parfois des violences conjugales, etc.
Mais les mamans solo cadres c’est aussi une réalité et la télé peut aussi les montrer sans que ce soit une « injonction ».
Car les mamans solo pauvres ont un quotidien moins glamour, c’est sûr. C’est justement ce quotidien que l’on voit parfois dans super Nanny (que vous critiquez pourtant…) ou Pascal le grand frère, émissions qui choisissent des types de variés de familles. Jetez un oeil aux pages Facebook de ces deux émissions, nombreuses sont les femmes, notamment seules, qui trouvent dans ces deux figures éducatives beaucoup de réconfort et de bonnes idées….
Merci du long commentaire. Intéressant et juste à bien des égards. Reprenons tout de même les objections point par point. Ok, Supernanny a bien sa version « masculine » mais je garde tout de même ma remarque : l’équivalent de Supernanny n’en est pas vraiment un parce que une « Nanny » est une nourrice, une nounou, une assistante maternelle, une mère de remplacement donc, pas un grand frère. La fonction paternelle se cherche dans une image fraternelle alors que l’image maternelle, elle, est « évidente » ou tout au moins résiste. Comme vous le dites d’ailleurs vous-même « il y a souvent des pères, chez super Nanny comme chez Pascal le grand frère, ils sont là mais ne savent pas s’y prendre et le public en redemande. »
Pour les femmes-flics, comme d’ailleurs pour Supernanny, mon propos était de souligner l’écart entre la réalité et le fantasme de maîtrise féminine. Or la femme-flic est bien, sociologiquement, un fantasme.
« Au sein de la police nationale, elles (les femmes) représentent 27,5% des commissaires, 22,6% du corps de commandement et 17,4% du corps d’encadrement et d’application (gardien, brigadier, brigadier-chef, major et major – responsable d’unité locale de police). » Le rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dit clairement que les « femmes-flics » ne sont pas la norme, contrairement aux séries. Bref c’est un stéréotype à l’envers. Un stéréotype de maîtrise, comme pour Supernanny mais sur un autre registre.
Stéréotype d’autonomie aussi et c’était la deuxième partie du propos. Ici encore, regardons le réel bien en face : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1195,
L’insee nous dit bien que les familles monoparentales sont à 85% des femmes seules avec enfants, qu’elles sont plus pauvres que les familles en couple et que les mères sont aussi moins diplômées. La aussi donc, il me semble qu’il y a, sinon un stéréotype, tout au moins une déformation du réel à vouloir mettre en scène ces femmes cadres de police, libérées, plutôt bonnes mères. Déformation idéologique qui s’échine à mettre en scène une maîtrise hors de portée et une autonomie fantasmée. Injonction donc, comme toute idéologie dominante qui ne dit pas son nom.
Ceci dit, je reconnais bien volontiers que des personnes peuvent aimer ces séries policières ou éducatives et y puiser de bonnes idées ou tout simplement passer un bon moment et, pour certaines – voire certains – s’y reconnaitre. Là n’était pas le but du propos, encore une fois. Je remarque que nous nous rejoignons sur le constat de la difficulté d’être mère. J’ajoute pour ma part à ce constat cette note un peu plus pessimiste : il y a aujourd’hui une fatigue d’être une femme et une mère seule et isolée justement parce que l’autonomie et la maîtrise leur sont présentées comme une sorte de « devoir ». Le livre d’Alain Ehrenberg était généraliste mais il visait de fait plutôt une population d’hommes cadres. Je remarque que l’injonction qu’il pointait s’est étendue, et ce aux dépens d’une co-opération hommes/femmes.