La demande de pardon, un défi impossible en politique ?

Par Catherine Belzung

Vendredi 27 Mai le président Barack Obama s’est rendu à Hiroshima, au Japon. Il s’agit de la première visite d’un chef d’état américain en exercice sur les lieux où est tombée la première bombe atomique, il y a de cela 71 ans. En soi il s’agit d’un événement tout à fait notable.

Il faut se rappeler en effet qu’aucune cérémonie rassemblant américains et japonais n’a pu être organisée en 1995, au moment où l’on célébrait le cinquantième anniversaire de ce si terrible événement qui a coûté la vie de 70 000 à 80 000 personnes (les victimes étaient principalement japonaises, mais on compte aussi des coréens, et quelques prisonniers de guerre américains). Bien que cette visite ait une haute portée symbolique, on peut regretter cependant que Barack Obama, Prix Nobel de la Paix, n’en ait pas profité pour formuler des excuses au nom du peuple américain. En effet, une demande de pardon aide justement à éliminer les rancunes, et donc à construire la paix et la fraternité. Bien sûr, se rendre sur les lieux, y parler de son désir de paix, déposer une couronne de fleurs, rencontrer les rescapés est un premier pas important, qui est déjà une façon de reconnaître la souffrance causée aux victimes. Et ce simple fait permet aux victimes de faire un peu leur deuil. Mais exprimer des regrets, s’excuser, demander pardon, aurait eu une portée bien plus grande, surtout pour les survivants. Est-ce donc impossible ? Ce type de geste doit-il être confiné aux relations privées, de personne à personne ?

On peut se souvenir des nombreuses demandes de pardon qui ont été formulées par le pape Jean Paul II : pardon demandé à Dieu pour les fautes commises par l’Eglise et les chrétiens au moment de l’inquisition, pour son silence coupable à l’égard des juifs, pour ses actions contre les « hérétiques », pour son attitude envers l’Eglise orthodoxe, pour les « aberrations horribles » au moment de l’esclavage, etc. Cela dit au moins une chose : le pardon a sa place dans le domaine public, et peut aller bien au delà des relations inter-personnelles. Et de s’interroger : le pardon serait-il confiné à la sphère du religieux, et ne serait-il pas exportable dans le domaine de l’action politique ? En effet, l’attitude de Barack Obama à Hiroshima n’est pas isolée : la France n’a jamais demandé pardon au Rwanda pour sa passivité au moment du génocide en 1994, les Serbes n’ont jamais demandé pardon pour les exactions commises au Kosovo.. Pourtant, il existe des contre-exemples : le premier Ministre du Japon a demandé pardon (certes, en son nom personnel et non au nom de sa nation) aux Coréens et aux Chinois pour les violences commises entre 1930 et 1940. Mieux encore : le premier Ministre canadien Justin Trudeau a demandé pardon aux peuples autochtones (amérindiens, métis et inuits) pour els souffrances qui leur ont été causée, et cela au nom du Gouvernement Fédéral du Canada.

Même si ces exemples constituent une exception, et que la reconnaissance de la faute commise est déjà un premier pas, la demande de pardon est une valeur à importer dans le domaine de la politique et de la diplomatie. Car comme le disait Hannah Arendt, « Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible – à savoir défaire ce qui a été – et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin. ». Le pardon est donc la seule façon de construire du neuf ! Quand on jette un coup d’œil rétrospectif à l’Histoire, on se dit qu’il y a du pain sur la planche !

Catherine Belzung, membre du CA des SSF

2 Commentaires

  1. La question du pardon en politique est, malheureusement, encore plus compliquée que l’article ne le laisse supposer… il faut voir toutes les composantes du problème.
    La question du pardon, à demander, à donner, à Hiroshima a été largement instrumentalisée par des forces internes au Japon ! on ne peut parler de pardon en passant sous silence comment cette question a été traitée durant des décennies au Japon même !
    La France doit demander pardon pour ??? son inactivité au Rwanda en 94 ? ou pour sa collusion avant 94 avec des forces qui allaient se révéler génocidaires par la suite, ou pour avoir exfiltré des génocidaires ? il n’y a pas de consensus en France sur ces points. La commission d’enquête parlementaire sur ces sujets a largement saboté son travail. Je ne me souviens pas que les SSF aient protesté à l’époque contre ce « refus de savoir » de la part des plus hautes autorités françaises… sans vérité, comment demander ou accorder un pardon ? Pas de pardon sans vérité historique d’abord. Pas de pardon sans justice.
    Les SSF vont-elles demander pardon ? pour leur inaction, pour leur silence ?

    (je suis étonné qu’on ne parle pas du pardon demandé par les autorités allemandes pour les exactions nazies… voilà une demande de pardon moins ambiguë que beaucoup d’autres).

  2. Jean-Pierre

    Merci Antoine pour cette contribution.
    Curieux de cette histoire de demande de pardon, je plonge dans le passé du Rwanda et je retrouve une demande de pardon en bonne et due forme du premier ministre Belge : https://www.monde-diplomatique.fr/2002/01/BRAECKMAN/8340. Avec cette petite note : « la commission d’enquête parlementaire, dirigée par M. Verhofstadt, a entendu des dizaines de témoignages. La portée de ses travaux a dépassé de loin l’analyse des tragiques événements de 1994. » Autrement dit l’attitude portée par le pardon a plus d’efficacité historique que la froide « observation » des faits.
    C’est peut-être cela qui rend la demande de pardon en politique si compliquée : l’attitude chrétienne met la conscience du péché – et en conséquence le pardon et la demande de pardon – au coeur de sa démarche. Une certaine manière de faire de la politique veut ignorer tout cela. Pourtant il y a là une ressource inestimable pour faire progresser la paix et la vie en commun. On peut se demander si une vraie et forte demande de pardon pour la colonisation de la part des puissances coloniales – et donc de la France – n’aurait pas eu une influence positive sur le continent africain. Et sur le terrorisme qui a – en partie, bien sûr – fleuri sur ce terreau. Il n’est pas trop tard pour le faire. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la demande de pardon entraîne réparation. Les Allemands le savent et l’assument. En sommes-nous capables en France ?

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