Par Catherine Belzung
La possibilité de déchoir de la nationalité française des binationaux nés français et condamnés pour terrorisme est une mesure qui fait couler beaucoup d’encre, à la fois à cause de l’origine de cette proposition (elle vient du Front National), de son inefficacité (cf le billet de Pierre-Yves Stucki sur cette même Tribune) et de son aspect inégalitaire (seuls le binationaux extracommunautaires seraient concernés, la France ne pouvant pas déchoir une personne n’ayant que la seule nationalité française ). Concernant le dernier point, il est tout de même paradoxal de proposer une mesure inégalitaire pour protéger les valeurs véhiculées par notre triade républicaine, qui comporte précisément l’égalité dans sa devise !
Mais outre ces réserves, il en est une autre qu’il faudrait souligner : son côté contre-productif, car on risque d’aboutir au résultat opposé à celui qui est espéré. En effet, étant donné que la France n’expulse fort heureusement pas des personnes vers les pays où la peine de mort est appliquée ou vers des pays ne pouvant garantir un procès équitable ou l’absence de traitements dégradants, certaines de ces personnes, bien qu’ayant perdu la nationalité française, risqueraient de rester en France. On peut citer l’exemple de Djamel Beghal, l’homme qui a probablement endoctriné les frères Kouachi : il a été déchu en 2006 (jusqu’à présent, la déchéance est possible pour les personnes ayant obtenu la nationalité française par naturalisation, ce qui est son cas), mais, jamais expulsé il et est toujours en France, et a reçu à son domicile les terroristes du 7 janvier 2015 peu avant l’attentat de Charlie Hebdo.
Quelle est la conséquence possible de cet état de fait ?
La rancœur. Oui, car bien que la mesure soit peu dissuasive pour des personnes prêtes à se tuer à l’aide d’une ceinture d’explosifs, elle risque en effet d’attiser le ressentiment de ces personnes envers la France et ses citoyens. Cela à la fois parmi celles qui, ayant été déchues, resteraient sur le territoire français, mais plus encore parmi celles qui, déjà radicalisées, y trouveraient une raison supplémentaire de passer à l’action terroriste, alimentant le cercle vicieux. Et chacun sait ce que la rancoeur porte avec elle: le désir d’en découdre, de prendre sa revanche, de passer à l’action. La déchéance risque donc de contribuer au passage à l’action terroriste, induisant l’effet diamétralement opposé à celui qui est attendu.
Catherine Belzung, membre du CA des SSF
Bernard Billaudot écrit : Discutons, au fond, de la proposition de rendre possible la déchéance de nationalité pour les citoyens qui ont la nationalité française parce qu’ils sont nés en France (la règle du « droit du sol ») et qui ont une double nationalité (celle de leurs parents, en l’occurrence le plus souvent). Il me semble qu’il y a un vrai débat pour ceux qui pensent qu’il faut sortir de la première modernité (dans laquelle la citoyenneté est nationale uniquement) pour une seconde modernité dans laquelle on aurait une double citoyenneté, à la fois une citoyenneté nationale et une citoyenneté mondiale (ou au moins transitoirement celle d’une communauté de nations qui préfigure ce qu’il faudrait arriver à instituer à l’échelle mondiale).
L’argument de ceux qui sont contre la dite déchéance possible avancent l’argument selon lequel cela revient à remettre en cause le fondement de la citoyenneté républicaine, c’est à dire l’ordination du multiple (la diversité des membres de la Nation) à l’un (tous ont, sans distinction de quoi que ce soit, le statut de citoyen) ordination qui fonde la souveraineté moderne-démocratique, dont l’instrument est le Droit (national). Tel est notamment le point de vue exprimé par Jacques Toubon. Je dois ajouter, cela est essentiel à prendre en compte dans le débat, que le concept de citoyenneté ainsi défini implique la règle du « droit du sol » (l’un va avec l’autre), la règle du « droit du sang » encore appliquée dans de nombreux pays étant une survivance (en modernité) de la société traditionnelle.
J’avoue avoir été interrogé par cet argument. Toutefois, il me semble qu’il y a une contradiction dans son propos puisqu’il y a deux types de citoyens français (nés français) et non pas un seul : les uni-nationaux et les bi-nationaux. Sans que l’on ait considéré que cela remettait en cause l’ordination du multiple à l’un rappelée ci-dessus. Puisqu’on a considéré jusqu’à présent, en conformité avec la constitution actuelle, que la bi-nationalité en question avait le droit d’exister, je ne pense pas que l’on porte atteinte au concept de citoyenneté (avec la forme moderne « droit du sol ») en envisageant qu’il soit possible de déchoir quelqu’un de cette citoyenneté, dès lors qu’il en revendique aussi une autre fondée sur le « droit du sang ».
Comme je ne suis pas juriste, je ne m’avance pas plus. Je peux comprendre l’origine des bi-nationaux considérés, mais pour moi, c’est cette existence même qui est contradictoire à la citoyenneté de première modernité, puisque cela revient à faire une place à une survivance, à l’échelle internationale, à un passé révolu (si ce n’est pour les membres de Daech qui veulent nous y faire revenir !).
Conclusion ; je n’arrive pas encore à formuler un choix.
Ce dont je suis assuré est que la bi-citoyenneté que j’appelle de mes vœux n’est pas du tout une bi-nationalité, parce qu’elle procède uniquement du droit du sol (on est citoyen de telle nation parce qu’on y est né et on est citoyen du monde parce qu’on est né sur terre). Ne nous enfermons pas dans des débats du passé. Tournons-nous vers l’avenir à construire. La question devient alors : qu’en est-il de la « déchéance de citoyenneté » dans le monde virtuel à bi-citoyenneté ? Il va de soi que l’on ne peut envisager de déchoir un humain de sa citoyenneté mondiale. Une nation particulière peut-elle déchoir de sa nationalité (citoyenneté nationale) un membre de la nation ? Cela n’est envisageable que s’il revendique une autre nationalité et qu’il est accepté comme tel par l’autre nation. Cela nous donne la « porte de sortie » pour le débat actuel…me semble-t-il. (selon Bernard Billaudot)
On peut lire utilement l’ouvrage de Winnicott, « Agressivité, culpabilité et réparation ».
Il s’agit d’abord d’histoires individuelles!
« A moins d’avoir affaire à la justice, le délinquant ne peut que devenir progressivement plus inhibé en matière d’amour et, en conséquence, de plus en plus déprimé et dépersonnalisé pour, finalement, devenir tout à fait incapable de sentir la réalité des choses, sauf celle de la violence. » (p72 de l’édition de poche Payot).
Cet ouvrage date et comporte pourtant des pages d’actualité sur la destructivité.