Par Jean-Pierre Rosa
Il y a 27 ans, le 11 novembre 1989, l’immense violoncelliste russe, Mstislav Rostropovitch, s’installait à « Check Point Charlie », le trop fameux poste frontière entre l’Est et l’Ouest de Berlin, pour y improviser un concert.Dès qu’il avait appris la nouvelle de la chute du Mur, deux jours auparavant, il avait décidé de partir, toutes affaires cessantes, pour Berlin. Et c’est ainsi qu’il s’était installé au pied des décombres pour interpréter les Suites de Bach afin de célébrer l’effondrement de ce que l’on appelait alors le « Mur de la honte ». Ardent défenseur d’Alexandre Soljenitsyne et des opposants au régime de Brejnev, il avait été mis à l’écart de la vie musicale à Moscou et avait dû s’exiler. En 1978, il avait été déchu de la nationalité soviétique.
27 ans après, où Rostropovitch devrait-il s’installer ? En Israël où les Israëliens cherchent à « se protèger » des Palestiniens ? En Hongrie, où le gouvernement hongrois a décidé unilatéralement d’arrêter le « flot » des migrants venant de Syrie ? Au Mexique où Donald Trump, le 45° président des Etats-Unis a promis lors de sa campagne de construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique aux frais du Mexique ! A Ceuta et Mellila où l’Union Européenne cherche à refouler par la force les réfugiés -politiques ou économiques – d’Afrique subsaharienne ? L’embarras du choix est manifeste. En effet, depuis la chute du mur de Berlin, il s’est construit dans le monde 5 fois plus de murs que pendant la guerre froide.
A l’époque, en novembre 89, le monde s’ouvrait et l’humeur était à l’euphorie. Aujourd’hui, le monde est marqué par la crainte et le repli sur soi. Cette construction frénétique de murs est éthiquement contestable. En effet, comme le déclarait le 9 novembre le pape François, « nous avons besoin de ponts, pas de murs ! » Non seulement, mais elle est aussi irresponsable et inefficace. En 1997, la session des Semaines sociales de France avait pour titre : « migrants, défis et richesses pour nos sociétés ». Jean Boissonnat, qui était alors président, déclarait en conclusion : « On serait dans une contradiction totale si l’on pensait qu’on peut intensifier les échanges de biens, de services, de capitaux, de techniques et d’idées et réduire – dans le même temps – les mouvements de personnes. Non seulement ce serait contradictoire, mais aussi ce serait dangereux : le mur de Berlin est tombé sous la poussée d’une migration, facteur décisif de démocratisation ; la paix en Europe est fondée sur l’intensification des échanges : il en sera de même, demain, pour la paix en Méditerranée. » On est là en présence de la naissance d’une pensée des Semaines sociales – qui s’appuie bien sûr sur la pensée sociale chrétienne – mais va au devant des questions nouvelles qui se posent aujourd’hui et ce en dialogue avec le monde contemporain. Pourtant, une fois cette déclaration rappelée et le cap ainsi tracé, comment agir concrètement ? comment résister efficacement à la marée noire des murs ? Bien sûr on peut répéter inlassablement que la libre circulation de l’argent et des marchandises, loin de toujours favoriser le bien être des peuples, ne fait qu’augmenter les inégalités entre nations et à l’intérieur des nations si elle ne s’accompagne pas de la libre circulation des personnes. Mais on pourrait aussi, plus concrètement, proposer aussi un principe juridique – qui pourrait valoir pour la négociations des grands traités (Ceta, Tafta) comme des petits traités (entre l’UE et la Turquie par exemple) – et qui conditionnerait l’ouverture des frontières aux biens et à l’argent à leur ouverture proportionnelle aux personnes.
Jean-Pierre Rosa, membre des SSF