Par Catherine Belzung
Alors que les consultations se multiplient pour trouver un nom à chacune des Grandes Régions (le tout doit être décidé avant le 1er Juillet 2016) qui composent désormais notre pays, et que les débats restent ouverts sur l’identité de certaines d’entre elles (dans certains cas, le découpage ne repose ni sur une entité historique ou culturelle, ni sur une réalité économique), on peut se demander si ce maillage territorial a toujours été jusqu’au bout de sa logique.
Prenons un exemple, issu directement de ma pratique quotidienne. Je suis chercheur dans le secteur biomédical à l’Université de Tours, laquelle se trouve en Région Centre Val de Loire (Région qui s‘appelait auparavant Région Centre, c’est juste le nom qui a changé, puisqu’elle comporte les mêmes départements qu’auparavant). Pour être visible internationalement, il nous a été recommandé de fusionner notre Université avec d’autres établissements : nous nous trouvons désormais dans une communauté d’établissements (ComUE : Communauté d’Universités et établissements), associés aux Universités d’Orléans (dans la même Région que nous), de Limoges, La Rochelle et Poitiers (désormais dans la Région « Grande Aquitaine »). Bien sûr, ces 3 derniers établissements se trouvent donc coupés des autres Universités de cette nouvelle Région, comme par exemple celle de Bordeaux. Si nous voulons développer des activités industrielles, des brevets, des sarts up, nous dépendons d’une SATT (Société d’Accélération du Transfert de Technologie) en lien avec les autres établissements de la ComUE mais associant aussi l’Auvergne (le siège de la SATT se trouve à Clermont Ferrand). Il y a 14 SATT en France, lesquelles s’étendent dans certains cas sur 3 Grandes régions (comme la nôtre) . Dans d’autres cas il y en plusieurs au sein d’une seule Région (par exemple il y en a une à Strasbourg pour la seule Alsace). Finalement, pour la recherche biomédicale, nous dépendons d’un pôle appeléHUGO (Hôpitaux Universitaires du Grand Ouest) qui comporte 7 CHU ou CHR (Brest, Rennes, Angers, Nantes, Orléans, Tours, Poitiers). A nouveau, d’autres acteurs, cette fois ci de la vallée de la Loire et de la Bretagne.
Bien sûr, ce n’est qu’un exemple tiré de ma vie quotidienne de chercheur. Mais je suis convaincue que les mêmes incongruités existent dans bien d’autres secteurs de la vie sociale, économique et culturelle. Ne serait-il pas prioritaire, avant de faire de grands découpages sur une carte géographique, de donner une cohérence à l’ensemble de ces réseaux, pour les déployer tous sur un même territoire ? Ce ne serait sans doute pas compliqué : il suffit que l’ensemble des réseaux sous tendant l’activité d’un secteur donné (ici la recherche, mais la même approche devrait se faire pour chacun des secteurs) se trouve localisé sur un seul territoire, correspondant à une Région. On y gagnerait en clarté, en visibilité, en efficacité et que l’on favoriserait ainsi l’adhésion des citoyens à cette nouvelle carte de France.
Catherine Belzung, chercheur à Tours
« Ce ne serait sans doute pas compliqué : il suffit que l’ensemble des réseaux sous tendant l’activité d’un secteur donné (ici la recherche, mais la même approche devrait se faire pour chacun des secteurs) se trouve localisé sur un seul territoire, correspondant à une Région. » C’est justement ce qui pose problème. Il y a des activités qui ont besoin d’un territoire resserré, d’autres qui nécessitent une très large mutualisation et mise en réseau, comme la recherche justement, d’autres enfin qui semblent ne pas se retrouver dans ces découpages « nationaux ». C’est le cas notamment de beaucoup de zones frontalières qui ont plus d’échanges avec le land ou le pays d’à côté qu’avec la Région administrative. A point que l’on peut se demander si la bonne solution ne serait pas – au-delà d’un pole globalement cohérent – de créer des zones de compétences hors régions pour des activités qui n’ont rien à voir avec ces découpages. Bien sûr la question se poserait de leur légitimité, de leur compétence (en matière financière notamment) et de leur représentativité. Bref la questions des territoires me semble beaucoup plus complexe que ce que l’on en voit au premier abord.
Le plus grand vide de cette réforme territoriale est de ne pas avoir pris l’ambitieux parti de renforcer la coopération européenne en créant des entités transfrontalieres quand cela ce jusitifiait (Alsace-Bade-Wurtemberg, Nord Pas de Calais-Wallonie, Savoie-Aoste, Pays Basque…)
Il y a déjà des coopérations transfrontalières, notamment dans toutes les régions citées. Mélanger la réforme territoriale et les coopérations transfrontalières aurait été, à mon sens, contre productif. Ne pas en faire mention, ne pas mettre en avant les articulationsn ne pas les intégrer à une réforme plus ambitieuse de la notion même de territoire permettant le cadrage de ses compétences est, à mon sens, la grande erreur de cette réforme – qui n’est en fait qu’un regroupement de communes !
Le débat sur le découpage et le débat sur les noms est derrière nous.
Le vrai débat c’est la cohérence territoriale, avec un ensemble de facteurs qui comptent parmi lesquels les facteurs historiques, linguistiques, sociaux, culturels, etc. Il me semble que chez nous, en Hauts de France, finalement le nom passe bien (en attendant la validation finale) et la cohérence territoriale est en marche. Comme quoi le vrai choix était certainement dans le découpage tel qu’il a été fait. Même si subsiste une vraie interrogation sur la dimension transfrontalière. Comment la faire vivre dans les schémas existants ?
Dans certaines régions, cela a beaucoup tarabiscoté à des fins plus électorales. La cohérence territoriale est donc mise à l’épreuve. Je me demande si là plus qu’ailleurs il n’y a pas un ensemble de dommages collatéraux que le temps se chargera finalement de réparer…ou pas ?
Oui, c’est bien la cohérence qui est interrogée. Faut-il se résoudre à une cohérence historique, linguistique, sociale, culturelle en laissant de côté le nerf de la guerre, la Recherche et le Développement ? C’est la question que pose Catherine. Faut-il aussi laisser de côté la dimension transfrontalière évoquée par Olivier ? Comme il est exclu de laisser de côté l’un et l’autre la question de l’articulation de ces différentes dimensions demeure posée et ce n’est pas le nom de la Région qui y changera grand chose. Il me semble que nous raisonnons encore trop « territoires » et pas assez « réseaux » trop Hexagone et pas assez Europe.
Oui, je rejoins tout ce qui a été écrit. En effet, dans certains cas les nouvelles Régions sont une évidence, s’appuyant sur une réalité historique, géographique, économique.. dans d’autres cas cependant, c’est un pur artifice! C’est cette seconde catégorie de Régions qui m’interroge.. est ce bien légitime? il faudrait a minima faire en sorte qu’il y ait une cohérence dans ces territoires, si on veut qu’une identité émane petit à petit..
Oui intéressant cet échange…mais quel rôle d’assembleur/d’assemblier de l’Etat en France dans une nouvelle France avec de grandes régions ? Je n’ai pas vu de réforme de l’Etat en profondeur. Depuis quelques années, on a même un Ministre en charge de la simplification…On voit que l’Etat est en mesure de proposer d’en haut une nouvelle taxe régionale d’équipement alors que le taux doit au final être décidé dans la région. Mais foin de polémique. Des régions plus grandes, mieux armées face aux défis de l’économie et de la recherche. Mais quelles coopérations interrégionales et quelle place pour l’Etat central ? Tout est certainement dans cette loi dite NOTRE, nouvelle organisation territoriale de la République…