Par Catherine Belzung
En contrepoint du texte « Europe dernier acte », voici un texte moins pessimiste sur la construction européenne. Les deux textes sont ainsi destinés à se répondre, entrer en dialogue et inviter à l’échange.
Beaucoup a été dit ces derniers temps sur l’Union européenne : il ne resterait rien des grands idéaux qui ont été à l’origine de ce grand projet d’intégration et de coopération. La crise de la dette grecque puis l’actuelle crise liée à l’arrivée des migrants fuyant la guerre ou la dictature révèlerait que l’Europe ne serait désormais rien d’autre qu’un grand marché économique, ayant oublié ses valeurs d’accueil de l’autre, de libre circulation des citoyens, de solidarité.. On serait désormais très loin des valeurs qui ont motivé l’attribution du prix Nobel de la Paix à l’Union Européenne en 2012 pour le progrès de la paix, de la démocratie, des droits de l’Homme et de la réconciliation. Alors, tout est perdu, vraiment ? L’Europe des valeurs est-elle en panne ?
Assurément non. Car en même temps que cette crise apparaît sous le feu des projecteurs, paradoxalement, quelque chose de radicalement nouveau est en train de germer, d’une façon peut être plus profonde : une Europe de la société civile, une Europe des peuples, bien vivante et ouverte. Cette nouveauté est rendue possible à la fois grâce aux progrès techniques (par exemple dans le domaine des transports, de l’internet, des réseaux sociaux) mais aussi grâce à des dispositifs qui ont été mis en place par les Institutions mêmes de l’Union Européenne. On peut mentionner par exemple les mobilités Erasmus, qui ont permis à plus de 3 millions de jeunes européens de passer un semestre dans l’un des autres pays de l’Union, créant de nouvelles dynamiques stimulantes, de nouvelles synergies. D’ici 20 ans, quand cette génération « Erasmus » prendra les rennes de l’Europe, on verra les conséquences du fait que les protagonistes auront eu une expérience de ce que c’est que d’être européen.
Mais est ce opportun de construire des entités transnationales continentales dans un monde qui a désormais comme horizon une planète globalisée ? En réalité, aussi dans d’autres continents, les entités transnationales comme l’UNASUR (Union of South American Nations) en Amérique Latine ou la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest ont été les facilitateurs de la mise en place de nouvelles politiques de sécurité sociale, de politique du handicap et de santé. Peut être donc que l‘étape de la construction de l’unité au niveau de chaque continents est un premier pas nécessaire et incontournable pour avancer vers un monde uni. En effet, on ne peut imaginer un monde uni uniformisé et homogène, mais au contraire un monde où les identités régionales/continentales sont mises en valeur, ce qui suppose dans un premier temps de les construire. Pour cela, il faut peut être passer par cette étape des entités transnationales continentales comme l’Union Européenne, la CEDEAO ou l’UNASUR.
Ainsi, plutôt que de se focaliser sur une Europe en panne, il faut changer de regard et on verra une Europe qui se construit , comme une étape vers le monde uni.
Catherine Belzung, membre du Conseil des SSF
Certes, mais j’ai deux objections fortes à cette vision. La première concerne la société civile européenne en construction, notamment chez les jeunes par le biais de l’expatriation. Il y avait, fin 2013, 1, 650 millions de Français à l’étranger (études ou travail) dont seulement 628 000 au sein de l’UE. Un tiers donc, Erasmus compris. Ce qui signifie que la bonne analyse c’est que les Français bougent davantage, certes, (15% d’augmentation en 5 ans) mais pas forcément en Europe.
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/10/17/quel-est-le-profil-des-expatries-francais_4507454_4355770.html
Ils s’internationalisent plus qu’ils ne s’européanisent. D’ailleurs l’Europe ne les intéresse pas : 73% d’abstention aux dernières élections de 2014 chez les moins de 35 ans contre 58% dans l’ensemble des votants.
http://www.injep.fr/veille/les-europeennes-2014-et-labstention-des-jeunes-6704.html
La seconde objection tient à ce que l’on demande à l’UE. Si l’UE est destinée, comme d’autres regroupements régionaux, à être seulement une « brique » ou un « groupe de pression » dans le concert de la mondialisation, pourquoi pas. Le problème c’est qu’on lui demande bien plus que cela : l’UE est censée porter des valeurs, un projet de société et l’ébauche de sa réalisation. Or c’est ce volet de la construction européenne qui est en train de s’effondrer sous nos yeux. Partout l’Europe recule sur ses valeurs et son projet : retour des frontières, gestion re-territorialisée des réfugiés, transaction TTIP qui fait la part belle au libre échangisme le plus effrené, montée des populismes, recul ici ou là de la démocratie ou du droit des gens…
Bien sûr l’UE est plus forte face à la Chine ou aux USA que chacun des pays pris isolément. Et il faut garder ce niveau régional de négociation si les pays qui la composent ne veulent pas être définitivement laminés par la mondialisation sauvage.
Mais ce n’est plus l’Europe de Monnet, Spaak, De Gasperi, Schuman, c’est autre chose.
Il ne faut pas se voiler la face sur ce point, ni mentir aux gens.
Il reste que je suis un européen convaincu et que ce constat m’est extrêmement amer. Et je suis bien d’accord sur la nécessité de s’accrocher au projet européen pour construire un monde habitable au niveau mondial. Mais il faut savoir que l’UE dans son ensemble – citoyens et politique – a trahi l’idéal de départ. Nous entrons donc en résistance au sein de l’Europe même contre les forces qui la délitent et qui voudraient dominer le monde.