Ces dernières années, les termes « éthique » ou « moralisation » se retrouvent sur toutes les lèvres, et s’invitent volontiers dans le débat public. En tant qu’universitaire confrontée au quotidien à ces questions, je suis fréquemment conviée à telle réunion dont l’objet est, par exemple, la création d’un comité d’éthique local pour des travaux de recherche non invasifs fait sur des personnes. Bien sûr, on peut se réjouir de cet intérêt et s’émerveiller du travail remarquable fait par certaines des institutions nées dans ce contexte, comme par exemple le Comité Consultatif National d’Ethique. Mais en même temps on peut aussi, paradoxalement, s’inquiéter d’un certain foisonnement dans ce domaine, des solutions qui sont parfois proposées, et des motivations des protagonistes.
Les solutions sont en effet souvent de type purement techniques, et on peut rester alors avec l’impression étrange que la réglementation a remplacé la réflexion éthique, cette dernière étant réduite à une forme d’incantation servant à se donner bonne conscience.
On peut évoquer l’exemple de la « moralisation des marchés publics » où la solution proposée pour éviter les dérives consistait à mettre en place une nomenclature détaillée : ainsi, une table, un ordinateur, un réactif chimique ou un missile ont chacun un code précis permettant de passer une commande. Cela aura bien sûr comme effet qu’il sera facile, si cela s’avère nécessaire, de disposer d’un état détaillé de ce qui a été commandé, ce qui peut faciliter les contrôles, mais il est évident que cela n’a rien à voir avec une réflexion éthique : ici donc un outil (en l’occurrence une nomenclature) remplace une action éthique.
Par ailleurs, les motivations des protagonistes sont elles aussi à interroger. Par exemple des chercheurs peuvent souhaiter la mise en place d’un comité local d’éthique pour faire passer un questionnaire à des personnes âgées, juste parce que cela leur permettra d’avoir la garantie de respecter la règlementation, de prendre les assurances nécessaires et de publier leurs résultats.
Ainsi, à force de multiplier les initiatives, nous courrons le risque que certaines d’entre elles soient bien éloignées des buts qu’elles prétendent atteindre, l’éthique devenant alors un simple affichage sans contenu, l’appel à l’interrogation de la conscience de chacun et la prise de responsabilité étant remplacée par le respect aveugle de consignes et de lois, les nomenclatures et règlementations se substituant à une réflexion sur le fond. A force d’inviter sans réserve un terme dans le débat public en le dissociant de son contenu, on risque de le déprécier, de le vider de son contenu, et donc de desservir les buts que l’on affiche.
Catherine Belzung, membre du CA des SSF