Par Catherine Belzung
Pour la première fois en France, un tribunal (celui de Grasse) vient d’autoriser un couple à faire conserver par une société privée britannique (une biobanque) le sang du cordon ombilical de leur futur enfant (à naître le 18 décembre). L’intérêt ? Pouvoir soigner cet enfant si dans le futur il déclare une maladie qui pourrait être guérie grâce aux cellules souches pluripotentes contenues dans ce sang de cordon. Une médecine préventive en quelque sorte. La famille argumente en effet que plusieurs grands parents du futur bébé sont décédés de cancers digestifs, ce qui expose l’enfant à un risque élevé de déclarer ce type de maladie quand il sera devenu adulte. Et d’espérer que dans le futur, grâce aux éventuels progrès de la science, ces cellules souches pourraient permettre soit de régénérer un tissu malade, soit de récupérer des forces par exemple après une chimiothérapie.
L’utilisation de sang de cordon ne pose pas de problème éthique en soi et d’ailleurs des milliers de patients sont traités chaque jour grâce à cette stratégie dans le cadre d’allogreffes (=greffe où donneur et receveur de la greffe sont différents): c’est par exemple le cas de patients leucémiques, qui peuvent bénéficier d’une stratégie thérapeutique basée sur l’accès à des « biobanques publiques » de cellules de cordon. Ces biobanques publiques sont fondées sur les principes de gratuité et d’anonymat : le don n’est pas rémunéré, l’accès à ces cellules est possible pour tous ceux qui en ont besoin et la conservation des tissus est gratuite. Une exception : la loi de juillet 2011 relative à la bioéthique prévoit que « le don peut être dédié à l’enfant né ou aux frères ou sœurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement ». Mais dans ce cas, même si le don n’est pas anonyme, il est destiné à un patient avéré, et non à un patient pas anticipation.
Rien de tel dans le dispositif autorisé par le tribunal de Grasse : ici le sang de cordon sera prélevé par un organisme privé, sa conservation sera nécessairement payante pour couvrir les frais (et engendrer un bénéfice), et les cellules ne pourront être utilisées que par ceux que la famille autorisera à en bénéficier. Nous voilà bien loin des principes de gratuité, d’altruisme et d’anonymat qui étaient jusqu’à présent recommandées par plusieurs organismes nationaux et internationaux compétents en matière de bioéthique.
En réalité, les biobanques privées stockant le sang de cordon ont développé une politique marketing d’un parfait cynisme : cibler des familles vulnérables en créant une angoisse (la probable maladie de leur enfant) et un invraisemblable espoir (celui de pouvoir le guérir). Utiliser leur envie d’aider leur enfant, mais dans le seul but de l’instrumentaliser, d’en tirer un profit. Et tant pis si en la matière l’autogreffe (=greffe où receveur et donneur sont identiques) n’est pas crédible scientifiquement dans le cas de maladies génétiques (on grefferait au bénéficiaire des cellules contenant l’anomalie génétique, ce qui se révèlerait inefficace). Tant pis aussi si personne ne sait si cet enfant sera effectivement malade plus tard. Tant pis aussi si personne ne sait si la science permettra de guérir la maladie en question (pour l’instant, le sang du cordon est utilisé pour traiter certaines maladies comme les leucémies, mais rien n’indique qu’il pourrait soigner un cancer digestif). Tant pis enfin si personne ne sait si cette entreprise n’aura pas fait faillite d’ici là.
Comme le dit Pr Ibrahim Yakoub-Agha, responsable des greffes au CHU de Lille « Si cette décision fait jurisprudence, cela pourrait devenir inquiétant. On verra se développer des démarches plus commerciales que médicales ». Mais comment réagir face à une telle décision? On peut bien sûr interdire cette pratique, en la pénalisant. Mais une autre alternative, également efficace, est de développer le don de sang de cordon dans des biobanques publiques, comme cela a été suggéré par le Comité Consultatif National d’Ethique en 2012. Stimuler en quelque sorte l’empathie, le don, la gratuité pour augmenter le nombre d’échantillons disponibles, favoriser ainsi leur diversité et donc augmenter le nombre de bénéficiaires potentiels. D’abord, comme donner rend heureux, cela augmentera le bien être de tous ceux qui seraient ainsi amener à agir pour autrui. Plus encore : cela permettrait au plus grande nombre de patients possibles d’en bénéficier, car un frein actuel est de ne pas disposer de suffisamment d’échantillons compatibles. Et enfin : cela rendra la concurrence bien rude pour les biobanques privées de sang de cordon, dont la politique commerciale deviendra si vaine et si inefficace qu’elles seront obligées d’arrêter là leur sinistre cynisme. Et voilà comment l’altruisme peut avoir raison du lucre.
Catherine Belzung
Dans un document du 13 janvier 2015, l’Agence de Biomédecine, dit clairement que la conservation de sang de cordon pour un usage autologue est interdite. Peut être faut il le dire clairement avant de parler de l’exception , dépendante d’une décision médicale , qu’elle admet.Dans ce document est déjà promu le réseau français de sang placentaire, biobanque à usage international. Son développement est dépendant non seulement de la bonne volonté des maternités pour informer les parturientes , suivre correctement les procédures de recueil, mais aussi des financements car conserver , en azote liquide pendant des années a un coût significatif. Pourquoi la Loi est elle ici contournée ( avec ou sans appel du parquet?) ?
Il y a non seulement un abus de faiblesse de la part de l’entreprise de biobanque britannique , mais une escroquerie médicale, qu’il faut dénoncer:
-Le type de cancer digestif n’est pas précisé; mais on peut supposer qu’il s’agisse de cancers coliques , dont il existe effectivement des formes familiales. Mais alors l’étude génétique de la famille permet d’avancer pour savoir chez qui le gène anormal est présent ( et qu’il faut alors surveiller régulièrement ) et chez qui il ne l’est pas , rejoignant alors la population générale , invitée à faire des dépistages de polypes coliques, « préfigurateurs » de tumeurs , mais dont l’ablation permet de prévenir réellement la survenue du cancer.
-le faible développement des sangs de cordon tient aussi à la faible quantité de cellules souches que l’on peut récupérer, ne permettant le plus souvent que de traiter des » petits poids », que ce soit en auto ou en allogreffe; c’est à dire habituellement des enfants ; or les cancers digestifs se voient plutôt passée la quarantaine.
-l’usage de cellules souches totipotentes, présentes dans le sang de cordon, sont effectivement une alternative aux cellules souches embryonnaires , encore peu développée, pour régénérer des tissus, mais non pas ( ou pas encore?) des organes en totalité. Nous avions effectivement pointé le risque commercial quand nous avions pointé les dérives possibles de l’anonymat des donneurs de gamètes ( autre forme de rupture de filiation) abutissant à des embryons anonymisés, exploitables par l’industrie , et aussi par les labos travaillant sur ces domaines
Oui, je suis tout à fait d’accord: c’est bien cette escroquerie, sans aucun fondement scientifique, que je cherchais à dénoncer.