Tous les 15 jours, retrouvez Pierre-Yves Stucki et sa chronique sur la pensée sociale et l’actualité, au micro de Paul Keil sur Radio Jérico.
Chronique du 4 juillet 2017.
L’interminable séquence électorale, commencée avec les primaires, s’est enfin achevée avec les législatives qui ont donné au nouveau Président une majorité qui pourrait faire pâlir de jalousie certains chefs d’état parmi les plus autoritaires. À charge pour lui désormais d’en faire le meilleur usage au service de la nation.
C’est peu dire que les attentes sont fortes. Les circonstances sont exceptionnelles, le sentiment de délitement des institutions est profond, comme en atteste l’abstention devenue majoritaire aux dernières élections. Dans un tel contexte, il faut espérer une action forte du nouvel exécutif, qui pour beaucoup, ne saurait prendre que la forme d’une volonté puissante, avec un mouvement impulsé d’en haut et s’appliquant à l’ensemble du pays – d’autant plus avec un président « jupitérien ». Nous avons en France une culture de l’État centralisé et une conception de notre République, « une et indivisible », où il ne saurait y avoir « deux poids et de deux mesures ».
Or le nouveau pouvoir semble adresser les signes d’une démarche un peu différente. Cela s’est manifesté très vite sur l’un des sujets auxquels les Français sont le plus sensibles : l’éducation, avec la volonté de revenir, trois ans à peine après sa laborieuse mise en œuvre, sur la réforme des rythmes scolaires. Non pas pour imposer le retour aux anciens rythmes, mais pour laisser à chaque commune la liberté de choisir ce qui lui conviendra le mieux. C’est une démarche inhabituelle en France, mais c’est l’application directe d’un des grands principes de la doctrine sociale, la subsidiarité.
Bien sûr, on pourra pointer les risques éventuels, en particulier celui d’un fossé entre communes riches ou pauvres. Mais c’était justement l’obligation faite aux communes d’organiser ces « temps d’activité périscolaire » qui aggravaient ce fossé, les communes n’étant pas égales pour y faire face.
Ce n’est pas le seul exemple récent de mise en œuvre du principe de subsidiarité. Toujours dans le domaine scolaire, le candidat Macron s’était prononcé en faveur de l’autonomie des établissements scolaires, pouvant aller jusqu’à la liberté de recrutement des enseignants. Il se trouve que c’était précisément l’un des souhaits exprimés par les Semaines sociales, lors de leur dernière session en novembre 2016. Il est certain que cette intention se heurtera à des réticences. Nous l’avions entendu lors du débat avec les représentants politiques lors notre session, où bien peu osaient s’aventurer sur ce terrain.
Dans le domaine social, la subsidiarité est aussi à l’œuvre dans la réforme du code du travail, avec la fameuse « inversion des normes ». La question posée est en effet celle du plus juste niveau de décision : la branche, ou l’entreprise ? pour négocier certains accords sur le temps de travail ou la rémunération des heures supplémentaires. À la vérité, la subsidiarité restera ici très encadrée, puisqu’au-dessus de la branche ou de l’entreprise, la loi continuera de s’imposer de toute façon.
Le principe de subsidiarité n’est pas neuf et son application politique est ancienne. Sans remonter trop loin dans le temps, elle s’est par exemple exprimée avec les lois de décentralisation en 1983. Cela peut paraître invraisemblable aujourd’hui, mais précédemment, les décisions d’un Conseil municipal étaient soumises à l’approbation du Préfet qui pouvait se prononcer sur l’opportunité politique même. Aujourd’hui la Préfecture n’exerce plus qu’un contrôle de légalité.
À une toute autre échelle, la subsidiarité était au cœur de la construction européenne, l’Union ne devant intervenir que sur son domaine de compétence propre, et laisser les États membres libres sur les autres sujets. Malheureusement ce principe est devenu moins lisible à mesure que l’Union semblait s’enfoncer dans une surenchère règlementaire.
Il est beaucoup trop tôt pour se réjouir de voir un nouvel élan général de subsidiarité. Mais du moins faut-il l’espérer. Car la subsidiarité ne vise rien d’autre qu’à permettre le juste équilibre dans l’exercice du pouvoir. La difficulté, en particulier dans un système de démocratie représentative tel que nous le connaissons, c’est que ceux qui ont reçu le pouvoir du peuple, soient tentés de penser et décider à la place du peuple qui les a élus, privant ainsi les citoyens, mais aussi tous les corps intermédiaires, de leur liberté d’initiative. C’est la subsidiarité qui permet que la recherche du « bien commun » ne soit pas un « intérêt supérieur de la nation » décidé et imposé d’en haut, mais un cadre qui permet l’épanouissement de chacun et respecte la dignité de la personne.