Par Jean-Pierre Rosa
Ce qui se passe en ce moment autour de la loi travail me fait de plus en plus penser, toutes choses égales par ailleurs, à Mai 68.
A l’origine un malaise. Sociétal en mai 68, (l’université passait en 10 ans de 40 000 étudiants en Sorbonne à 600 000, la société sortait du carcan bourgeois) social en mai 2016 (la loi travail, perçue comme le comble de l’alignement sur le moins disant social dans une France qui a fait le choix du chômage apparaît aux jeunes comme une déclaration de guerre).
Dans les faits ensuite : des manifestations spontanées, aux formes innovantes, présentant un lien assez lâche avec la réalité sociopolitique mais qui disent le désir d’une autre politique, d’un autre contrat citoyen, d’autres relations sociales. Nuit Debout rejoint sur ce point les « enragés » de Mai 68. Et la place de la République fait penser aux « barricades » de l’époque.
Dans le rapport de forces enfin : une volonté des manifestants de rejoindre le « vrai peuple », Renault et les ouvriers en mai 68, les jeunes des banlieues aujourd’hui. Mais, hier comme aujourd’hui, frustrations, révolte, volonté de justice et désir d’une autre lien social sont récupérés et annexés par un front syndical musclé qui se refait une jeunesse dans une contestation radicalisée qui aboutit, en Mai 68 comme aujourd’hui, à la pénurie d’essence !
Et, pour couronner le tout, un bouc émissaire commode pour tous : la police et ses « violences » présumées ou réelles. En mai 68 personne ne trouvait incongru de scander, des heures durant, face aux forces de l’ordre le slogan bien connu : CRS = SS. Aujourd’hui le politiquement correct interdit très vite de tels propos mais l’idée est bien la même : faute d’avoir sous la main les « responsables », on se défoule sur les gardiens de l’ordre public qui, aujourd’hui comme hier, n’y peuvent pas grand-chose. Bien sûr les manifestants de 68 comme ceux de 2016 se trompent de cible mais cette focalisation sur la police fournit aux uns un exutoire et aux autres une raison plausible d’arrêter le mouvement.
Quant au résultat de toute cette agitation, les grandes manifestations de Mai 68 où l’on se proposait de « changer la vie » ont débouché sur un lent déblocage sociétal et, surtout, sur des négociations salariales assez plates, importantes pour l’année 68, mais vite récupérées par l’augmentation du cout de la vie dans les années qui suivirent.
L’histoire est-elle en train de bégayer ? La « participation », voulue de façon prophétique par le Général de Gaulle de 1969 mais balayée par le vote, avait été rayée pour longtemps des thèmes politiques. Elle revient aujourd’hui sous une forme éruptive. Il est à souhaiter que cette lame de fond trouve aujourd’hui son expression sociale et politique.
Jean-Pierre Rosa, membre des SSF