Par Jean Pierre Rosa
Emmanuel Macron est donc notre président. Les résultats du second tour de l’élection présidentielle, attendus, sont tombés. La France sort profondément meurtrie et divisée de cette campagne folle marquée par les affaires et l’élimination des « sortants ». Bien sûr il y aura des législatives car Emmanuel Macron, s’il a une légitimité comme président, ne dispose pas encore d’une majorité au parlement pour faire avancer de façon démocratique son projet. Pourtant, même si une majorité législative claire, au besoin avec des alliances, se dégage, le pays sera marqué pour longtemps par une fracture interne sans précédent.
Jacques Chirac avait fait campagne jadis sur la fracture sociale… et n’avait pas fait, pas voulu ou pas pu faire grand-chose pour la réduire. Aujourd’hui nous nous trouvons face à une France polytraumatisée : fracture sociale (les riches toujours plus riches contre les pauvres toujours plus pauvres), fracture territoriale (les villes contre les campagnes), fracture identitaire (les franco-français contre les nomades mondialisés), fracture culturelle (les élites diplômées et sachantes contre le « peuple »), fracture ethnique et religieuse (des vieux croyants catholiques et français contre des musulmans noirs et/ou d’origine arabe). Non seulement mais ces fractures multiples se recoupent et s’exacerbent dans le miroir déformant des médias et de la mondialisation. Le vécu du déclassement et de la relégation se phantasme en déclassement de la nation. Le vécu – dérangeant pour certains – de l’irruption de l’islam dans l’espace public, se double de la réalité et des images du terrorisme islamique qui semble fonctionner comme une cinquième internationale, à la fois hostile et complice de l’avancée furieuse et aveugle du capitalisme mondialisé.
Le prochain président aura donc la très lourde, l’immense tâche de réconcilier les Français. Ses marges de manœuvre seront particulièrement étroites : majorité par défaut comme on l’a souvent dit, banalisation d’un projet de société radicalement opposé au sien, difficulté de tenir des promesses qui tiennent pour une large part à des dynamiques entrepreneuriales et politiques qui lui échappent en grande part. Incertitude quant au virage que devrait prendre l’Union européenne.
Ce sera donc à chacun d’entre nous, personnellement ou collectivement, de prendre notre part de cette nécessaire réconciliation. Pour cela il nous faudra choisir résolument la voie du dialogue et des petits pas de la proximité et de la société civile. Nous ne pouvons pas laisser notre pays sur la voie de l’explosion politique et sociale. Nous aurons, jour après jour, à être, chacun pour notre part, à notre place, des artisans de paix.
Il est permis de penser que la grande tâche des chrétiens sociaux ne consistera pas, pour les décennies qui viennent, à imaginer des processus de solidarité, comme ils l’avaient fait jusque dans les années 80. Mais à promouvoir, à tous les niveaux, cette fraternité qui fonde la solidarité.
Jean Pierre Rosa, membre des Semaines Sociales de France
Une des tâches des chrétiens sociaux est peut-être aussi de ne pas noircir la situation, et de ne pas ainsi « fabriquer du pessimisme »: le pessimisme est un des moteurs du vote FN.
L’optimisme au contraire , qui ressemble à l’espérance, est un des moteurs de la résolution des problèmes : l’économiste (française) E Duflo a démontré qu’on sort mieux et plus de la pauvreté si on est optimiste…
Je veux bien mais à une condition : que l’optimisme ne soit pas une manière de se voiler la réalité. Un ami me disait : « Il faut retrouver le courage d’oser l’optimisme ». Pourquoi pas ? Il reste néanmoins que la fraternité apparait souvent en situation de danger, lorsque l’on la vie est en jeu et que l’on doit choisir entre d’un côté le sauve qui peut et chacun pour soi et de l’autre la fraternisation qui rassemble et préfère le collectif à l’individuel. La fraternité est une vertu tragique. Mais je ne veux pas contredire Esther Duflo ! L’optimisme est aussi une vertu. Pas la même. Disons qu’elle vise plus l’individu et que nous avons un problème de collectif.