Par Jean-Pierre Rosa
Étonnant débat samedi soir après les attentats. Mélenchon, très digne, très républicain, en appelle à la mobilisation citoyenne contre la barbarie. Jusque là tout va bien. Mais le voilà qui dit : « oui, j’ai de la haine… »
La suite du propos est plus mesurée mais le mot est lâché et il me reste dans l’oreille comme un dérapage toujours possible… et tellement compréhensible. Et voilà que, quelques minutes après, c’est au tour de Frédéric Beigbeder de s’exprimer. Visiblement ému et hésitant, il finit par prononcer des paroles étranges dont je retiens quelques bribes :« Je suis plutôt un amuseur, quelqu’un de frivole, je ne suis pas chrétien, je suis incroyant, mais face à ce drame, cette phrase de Jésus me revient : quand quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends la gauche… » Un certain malaise vite chassé par le flux des échanges passe sur le plateau. Arno Klarsfeld a beau jeu de balayer cette intervention maladroite et malvenue en expliquant benoîtement – ce que chacun avait fort bien compris – qu’il s’agirait d’un aveu de faiblesse et d’un renoncement à exister en tant que communauté nationale.
Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la tête de Frédéric Beigbeder et au fond peu importe mais cette sortie intempestive m’a donné à penser : certes, il faut se défendre mais pas en opposant à la haine une haine plus « juste » plus « nationale » ou que sais-je. Mais en « aimant ses ennemis ». Aimer ses ennemis ne signifie pas renoncer à les combattre, mais renoncer à voir en eux la barbarie, l’horreur, l’incarnation du mal, bref des personnes à haïr en toute tranquillité. Après tout les 8 terroristes étaient eux aussi des victimes. Victimes d’ itinéraires personnels qui nous restent désormais inconnus mais qui ont sans doute eu leurs souffrances. Il n’est pas interdit, dans les minutes de silence républicaines ou dans les prières qui vont avec, de penser à eux.
Quant à leurs commanditaires, j’avoue qu’il m’est plus difficile de les considérer avec « amour ». Pourtant, comment sortir de la spirale de la violence qui risque de nous happer si ce n’est par le haut ?
Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog
Oui, Jean-Pierre, la haine et la peur sont les pires pièges dans lesquels on peut tomber. Tant qu’on réagit poussé par ces deux sentiments mélangés, on peut se laisser aller au pire, sans même s’en rendre compte. Et c’est dans cette spirale de la violence que nos « frères » terroristes sont tout contents de nous entraîner, car c’est leur terrain de prédilection et sur ce terrain ils sont les maîtres. Notre seule solution est de les conduire sur le terrain de la vraie non-violence active, car là ils sont complètement démunis.
Vous faites les gentils et/ou vous êtes des Gentils.
La peur aux trousses, telle que racontée par des proches, survivants du Bataclan, c’est la peur aux trousses, nuit et jour. Un peu de réalisme, s’il vous plaît ! La peur est une émotion communément admise tant pour les bourreaux, qui ont été drogués pour pouvoir agir, comme pour des survivants d’attentats.
À ne pas mettre dans le même sac que la haine, svp.
À qui rapportent ces crimes et à qui coûtent-ils ?
Ils coûtent aux familles de victimes comme aux familles de terroristes, certes.
Ils coûtent aussi à toute la société française, avec des pertes sèches considérables pour beaucoup. Rendant plus vulnérables encore des déjà vulnérabilisés par la crise.
Vous oubliez aussi une très sérieuse étape dans votre invitation à « aimer ses ennemis » ou à la « non violence active », celle de la justice. C’est choquant.
Et plutôt que de parler de « non violence active », n’y aurait-il pas lieu de s’intéresser plus avant à ces poudrières que sont certains quartiers, depuis si longtemps déjà? Au rôle d’Internet ? À l’éducation qui sert à construire plutôt qu’à détruire ? A des compromissions d’Etats avec des prédateurs ou « commanditaires de crimes » ?
Bien sûr qu’il peut y avoir des souffrances à l’origine de radicalisations, mais il faut aussi pouvoir entendre qu’il y a des responsabilités partagées et que nous en avons une, aussi.
Il est surhumain ou inhumain de traiter de « frères en humanité » des terroristes qui ne peuvent pas être des frères car ils ont été dépersonnalisés. « Il tirait comme une machine », « il était impossible de croiser son regard », ai-je entendu. Pas à la télé.
Je ne suis définitivement pas « frère » d’une machine. Ce n’est en aucun cas de la haine ou un manque d’amour. Je peux juste dire que ce terroriste aurait pu être mon frère avant d’être dépersonnalisé. Nous ne l’avons pas rencontré à temps. Ni vous ni moi.
Bonjour Prune,
J’y vais sur la pointe des pieds car je comprends l’atteinte ressentie et partage en plus quasiment tous les arguments que tu avances. Par ailleurs ce n’est pas moi qui ai mélangé peur et haine. La peur est une chose, normale, la haine en est une autre et l’une n’est pas la conséquence de l’autre. Ce serait trop simple.
Je n’oublie pas pour ma part la justice. Il faut qu’elle soit prise en compte. Cependant elle n’est pas du même registre ni que la haine, ni que l’amour. Luc Boltanski dans « L’amour et la justice comme compétences », dit cela très bien.
Mais lorsque tu dis qu’un des terroriste, parce qu’il avait été « dépersonnalisé » et tirait « comme une machine », n’était plus une personne et était une machine et que l’on ne peut donc être frère avec lui, là je ne te suis plus. Disons : je te comprends, mais je ne te suis pas.
Encore une fois, je pense et je crois que l’on ne peut sortir de la spirale de la violence que « par le haut ». Et qu’il va nous falloir beaucoup d’efforts, surhumains pour certains, plus faciles pour d’autres, pour y arriver.