Par Denis Vinckier
Manuel Valls, quand il était premier ministre, avait posé les éléments d’un diagnostic : 35 % des personnes qui peuvent prétendre au Revenu de Solidarité Active (RSA) n’en font pas la demande en raison de la complexité du dispositif. Terrible constat qui démontre combien le besoin d’accompagnement est réel et notre système inadapté. Par ailleurs, les moins de 25 ans n’ont pas accès aux minima sociaux alors que 18 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. D’où les réponses sous forme de « Garantie jeunes » par exemple. Et l’ancien premier ministre d’esquisser les contours d’un revenu universel comme élément d’une garantie d’une continuité en cas de coups durs, d’une sécurité nouvelle face aux risques nouveaux de précarité, d’un tremplin à l’initiative. Voilà des ambitions avec lesquelles il est difficile d’être en désaccord.
L’intérêt du débat relancé par Benoit Hamon est de faire réfléchir sur l’endroit où il faut mettre le curseur. Les économistes de droite et de gauche affutent les arguments. Les journaux organisent la bataille des arguments. On trouve des partisans du revenu universel à droite et à gauche et des opposants à droite et à gauche. Le grand concert des arguments arrivera-t-il simplement à faire en sorte qu’une musique cohérente s’organise ?
Dans les colonnes de notre modeste tribune à nous, Semaines sociales de France, Pierre-Yves Stucki avait pris la plume il y a quelques semaines pour passer la proposition au crible de la pensée sociale chrétienne. Benoit Hamon semble vouloir acter avec sa proposition la fin de la société du travail. C’est que les mots font peur. Les robots vont prendre notre travail. Pour la première fois aujourd’hui, par nécessité, j’ai utilisé la fonction transcription vocale de google docs. Sacrilège ? J’en suis satisfait. J’ai par ailleurs noté dans la presse cette semaine, dans le Douaisis, que TDR, une entreprise lallinoise spécialisée dans la robotique, avait comme ambition d’aider les entreprises à se débarrasser des tâches répétitives, pour augmenter leur production, monter en gamme…tout en valorisant les hommes. Est-ce vraiment possible ? Oui probablement et dit ainsi, nous nous éloignons des caricatures. Nous entrons dans un monde nouveau. Sans travail ?
Mais le travail, c’est bien plus que le seul emploi ou la seule relation salariale disait Pierre-Yves Stucki. Décréter la fin de la société du travail, c’est certainement s’empêcher d’inventer et de soutenir des dispositifs comme celui lancé par ATD Quart-Monde, territoire zéro chômeur. La formule innovante des « entreprises à but d’emploi » (EBE), clef du projet de ces « territoires expérimentaux zéro chômeur » doivent certainement nous inviter à la prudence avec les slogans définitifs et les idées toutes faites. Créer des emplois (non solvables ou non suffisamment solvables) pour donner de la dignité à des personnes, et si c’était cela l’idée neuve ? Ecouter ce que les chômeurs ont comme projet(s), valoriser les apports des personnes et construire les emplois avec les personnes autour d’un projet, c’est là un chemin exigeant de travail et de reconnaissance. On peut donc penser que la vraie quête sera de continuer à donner du travail à tout le monde plutôt que de donner un revenu sans travail. Au revenu universel, on peut donc opposer raisonnablement une autre ambition, celle de l’universalité du travail.
Denis Vinckier, Membre du Conseil des SSF
@ DENIS VINCKER
Je souscris tout à fait à votre analyse qui met en relief l’aspect dangereux de l’analyse et de la proposition de Benoit Hamon.
Comment imaginer la dignité de l’homme sans travail ?
Il me semble qu’une alternative consistant, à l’opposé des programmes libéraux des 3/4 des candidats à la présidentielle (Hamon compris), à proposer un service public de base élargi, comprenant un accès de base à l’eau, à l’énergie, au transport, à une nourriture de base saine, à l’assurance maladie, au logement et à l’éducation, serait plus judicieuse et moins risquée que la généralisation d’un revenu universel.
Souhaitons que la campagne permettra d’avancer judicieusement sur ces idées dans le sens du bien commun.
une remarque factuelle, et des observations générales :
-la « pauvreté » des jeunes est principalement due à la période de chômage – 6 mois à un an en moyenne- que la plupart connaissent avant de trouver un premier emploi: si tous les jeunes étaient en apprentissage ou en alternance, en fin de scolarité , leur pauvreté serait réduite radicalement…à peu de frais.
Cette difficulté actuelle d’accès au travail n’a pas grand chose à voir avec les débats de moyen/long terme sur la fin du travail: il s’agit seulement de faire un peu de place, pendant un ou deux ans, durée de cette phase transitoire entre la formation scolaire et l’emploi, à ceux qui attendent à la porte des emplois.
Pour financer cet accès, un moyen simple: convertir une(petite) partie des hausses de salaires annuelles des « insiders » en salaire d’apprenti ou alternant…c’est possible. Il suffit de le vouloir et de le proposer partout.