Par Philippe Segretain
La Session 2017 des Semaines Sociales de France portera sur l’Europe, comme les Semaines sociales ont su déjà le faire, notamment en 2004 moment heureux ou l’analyse politique a pu déboucher sur une formulation actualisée et porteuse de l’ambition des pères fondateurs. Le choix de ce thème pour 2017 n’est pas en rupture avec cette histoire, ni avec la sensibilité politique de chrétiens engagés autour des analyses sur la responsabilité de l’Europe rappelée par le Pape François quand il reçut le prix Charlemagne. Mais peut-on aujourd’hui se contenter d’actualiser le projet fondateur ? Certains le tentent, parfois avec brio, ainsi de politiques s’adressant à de jeunes urbains, éduqués et insérés dans des parcours universitaires ou professionnels ouverts sur le monde, qui peuvent n’avoir aucun doute sur la pertinence du discours européen et, sans toujours prononcer le mot, pensent nécessaire d’évoluer vers une structure fédérale.
Ce choix politique respectable ne semble pas l’approche que nous pouvons retenir a priori, car travailler la doctrine sociale de l’Église c’est certes entendre l’admonestation de François, mais c’est aussi écouter notre pays, nos pays. Après les non français et néerlandais aux référendum sur l´Europe, après le stupéfiant vote britannique pour le Brexit, les propositions politiques des europhobes et des euro-sceptiques, donnent aux sondages sur l’absence d’adhésion à l’Europe une cuisante crédibilité. Le sous-emploi, le mal emploi, les inégalités qui divisent le territoire entre villes ou pays dynamiques, et territoires péri urbains ou ruraux perdus pour la République ou perdus comme lieux de création de valeur, ont contribue à casser le lien social. Les « invisibles » ne sont pas même inscrits sur les listes électorales, ne votent pas,ou privilégient des votes de rejet des partis de gouvernement. Est-il pensable de leur proposer de partager une vision européenne ? La réponse ne peut se satisfaire d’une simple analyse critique des dérives réglementaires et des choix économiques qui ont fait de l’Europe le bouc émissaire opportunément chargé des échecs non assumés par les gouvernements, car comment proposer à ceux qui se sentent rejetés par la cité de changer de territoire de référence et de se projeter dans un avenir bâti dans le cadre européen ?
Le bilan est le premier temps nécessaire. Les 70 ans de Paix sont une évidence dont l’importance s’estompe, sachons en rappeler la valeur quand la tension resurgit autour de frontières historiques et de ruptures culturelles à l’Est. Mais encore faut-il tout évaluer : succès, promesses, potentiels (comment aurait-on obtenu l’accord de la COP 21 sans l’Europe ?) Mais aussi les échecs, et cette bureaucratie, qui traduit la difficulté à articuler libre circulation des marchandises et des services et subsidiarité dans la définition et l’application des normes. Bien sûr ce bilan doit être complété par le vécu de tous ceux que la vie, universitaire, professionnelle ou associative projette dans un univers où la frontière nationale n’est plus pertinente.
Il faut donc que politiques et philosophes, experts et hommes d’entreprise s’appuient sur notre culture commune, sur le récit que nous portons (bien au delà de toute référence à nos racines chrétiennes) pour articuler nos représentations. Les défis qui nous attendent nous y aideront : la mondialisation a vu émerger des acteurs dont l’influence économique et culturelle ne peut être équilibrée par celle de chacun de nos pays isolé. L’Europe est bien un élément de la réponse. De même le thème de l’accueil, c’est-à-dire la capacité d’intégrer les migrants victimes de la misère, de la guerre ou de la désertification, traduit une autre obligation à bâtir une réponse commune.
Plus d’Europe est donc rationnel. Mais ce mouvement suppose une cohésion retrouvée dans chaque pays. Vouloir l’Europe c’est donc d’abord prendre le temps de la reconstruction du pacte républicain. Le travail d’analyse des situations et des propositions, des projets et des visions lancé depuis le début de l’année par les Semaines Sociales pour préparer la Session de novembre 2017 sur l’Europe participe de ce nécessaire mouvement.
Philippe Segretain,
Administrateur des Semaines sociales de France