Où va l’Union européenne ? Brexit, mythes et réalités

Par Jérôme Vignon 1

Alea jacta est ! Dans un discours très attendu prononcé le 17 janvier devant la Chambre des Communes, Theresa May a dévoilé son programme pour une sortie claire (clean) de l’Union Européenne (UE), donnant le cadre général de la demande officielle que son gouvernement devrait transmettre à l’UE en mars prochain. Elle sonnera l’heure effective de négociations pouvant durer jusqu’en mars 2019 avec l’Union Européenne à 27.

Elle a tranché en particulier dans un nœud gordien qui divisait certains de ses négociateurs, en optant pour une sortie du Royaume Uni (RU) de l’Union douanière européenne. Se maintenir au sein de cette Union aurait facilité grandement le régime du commerce extérieur du RU qui serait resté identique à ce qu’il est actuellement, avec l’immense inconvénient politique que le RU aurait dû endosser les accords commerciaux à venir signés par l’UE avec des pays tiers, sans avoir part aux négociations, sans rien dire de l’ombre portée dans la législation britannique des directives du marché intérieur européennes qui se reflètent de plus en plus dans les accords commerciaux internationaux lorsqu’ils portent sur les échanges de service.

Sans surprise pour les connaisseurs de ces négociations commerciales, le RU demandera en mars prochain à recouvrer sa liberté de négociation commerciale et sa liberté de réglementation intérieure avec un inconvénient majeur, celui d’avoir à renégocier avec l’UE un accord commercial à frais nouveaux, du type de celui qui vient d’être conclu entre l’UE et le Canada. Une difficile et peut être longue négociation s’engagera entre les deux entités séparées à compter de mars 2019, dont le RU aimerait bien qu’elle commence dès maintenant. Quelles contreparties le RU est-il prêt à offrir en échange des enjeux auxquels il tient : réduire autant que possible les formalités douanières sur les marchandises (près de 80 000 camions transitent actuellement par le seul port de Calais chaque mois dans les deux sens) ; établir une forme de reconnaissance mutuelle entre les règles relatives aux services financiers (le fameux passeport européen pour les banques installées à Londres) ? Dans le discours de Theresa May et dans les coulisses transparaissent deux concessions possibles : une sortie par étape avec des transitions de part et d’autre pourrait permettre à l’UE de continuer de recevoir la contribution UK au budget européen et de réaliser le programme budgétaire pluriannuel arrêté jusqu’en 2021 ; les autorisations d’entrée et de séjour des travailleurs européens, cause majeure du Brexit, pourraient être allégées au maximum allant jusqu’à l’automaticité du permis de séjour pour tout travailleur de l’UE disposant d’un contrat d’embauche au RU 2. Or la main de Madame May n’est pas très forte sachant par exemple que le RU est aujourd’hui beaucoup plus dépendant de ses relations commerciales avec l’UE qu’aucun autre de l’UE 3. C’est peut-être ce qui explique les menaces assez désagréables qu’elle a proférées à l’encontre d’une négociation hégémonique de l’UE ; dans cette perspective, elle n’hésiterait pas à lancer son pays dans une forme de dumping fiscal qui comporterait aussi pour l’économie du RU de graves inconvénients.

On n’efface pas d’un trait de plume 43 années de construction patiente d’un marché commun, tissé par des centaines de directives commerciales, sociales et environnementales. Dans de nombreux domaines, réputés durs en négociation, mais loyaux une fois les textes adoptés autour de la table du conseil des ministres de l’UE, les Britanniques continueront de suivre volontairement, mais de très près, le processus législatif européen. A défaut ils risquent de voir s’éroder ce qui a fait par le passé leur attractivité pour les investisseurs étrangers.

Britanniques et Européens, nous restons en fait dans le même navire qui englobe d’ores et déjà plusieurs cercles au-delà de l’UE. Un mauvais compromis nuirait aux deux parties. Les Anglais quittent aujourd’hui l’UE, pas l’Europe, quoiqu’en disent les plus acharnés des Brexiters. Inversement dans de nombreux domaines la combinaison de pragmatisme et de rigueur des Britanniques demeure sur le continent un legs précieux.

Ne nous laissons donc pas gagner par l’acrimonie revancharde : elle risquerait de nous masquer les chances, d’ici à une dizaine d’années d’une nouvelle transformation imaginative de la relation singulière entre le RU et l’UE. Fermeté et vision de long terme doivent ici prévaloir. Exploitons en sens inverse les quelques ouvertures que laisse le départ des Britanniques dans des matières où ils se sont montrés particulièrement rétifs, comme celle de la construction d’une capacité militaire de l’UE. D’une certaine manière le Brexit stimule la responsabilité des pays de l’UE qui demeure à concevoir ensemble leur avenir.

Jérôme Vignon,
ancien président des Semaines sociales de France,
ancien haut-fonctionnaire de la Commission de Bruxelles

1 Premier d’une série de tribunes

2 Voir le Financial Times du 17 janvier 2017 p2, George Parker et Helen Warrel « Work permits at the heart of British immigration Plan ».

3 Alors que le poids des échanges commerciaux du RU avec l’UE dans ses échanges totaux est de 50%, il s’élève à 37,5% en moyenne pour les autres pays .

5 Commentaires

  1. Jean-Pierre

    Tout de même, les 40 années de construction commune ont toujours connu des stop and go de la part des britanniques qui ont eu pour résultat qu’ils étaient le seul pays à ne pas faire partie de Schengen et pas davantage de la zone euro. Il n’est pas incohérent qu’ils franchissent aujourd’hui le pas du Brexit en sortant de l’union douanière. Que reste-t-il en ce cas de leur attachement à l’Europe ? Sinon une pétition de principe un peu décalée par rapport aux valeurs européennes de base ?

  2. François

    A condition que dans une dizaine d’année on puisse encore parler de RU. Car il existe un scénario possible : un renforcement de l’UE grâce au Brexit et sous la pression de Trump, et un éclatement du RU sous la pression des écossais et nord irlandais.

  3. VIGNON

    Therese May elle même affirmé dans son discours du 17 janvier que le RU quitte l’UE , pas l’Europe. De l’attachement des Britanniques à l’Europe resteront l’essentiel des « solidarités de fait  » évoquées par R Schman dans son appel historique du 9 Mai 50: ils conserveront le système métrique, ne reviendront pas sur le socle commun des standards de sécurité nucléaire civile ni sur l’ensemble des normes de santé et sécurité au travail héritées de l’acquis communautaire : ce serait une provocation vis à vis des travailleurs britanniques que T May a voulu rassurer dans ce m^me discours et dans d’autres depuis le vote du Brexit. Ils ne reviendront pas sur le salaire minimum instauré par les Travaillistes après que Tony Blair ait décidé d’adopter le Protocole social de Maastricht . Ce ne sont là que des exemples . N’oublions pas que le temps travaille pour le maintien d’une relation d’ordre culturel et politique privilègiée, puisque ce fut le choix des plus jeunes générations lors du référendum . Non l’histoire ne se termine pas avec le traité de séparation à conclure dans deux ans . Le scénario d’une désagrégation du RU menace en effet , mais agit plutôt comme un repoussoir tant il comporte d’impacts négatifs pour l’Ecosse et l’Angleterre. Dans la période qui s’ouvre , les associations transnationales , la société civile européenne joueront un rôle renouvelé d’interface vitale entre les peuples .

    • François

      Plutôt qu’un référendum pour ou contre l’Europe, ou pour ou contre l’euro, ou pour ou contre je ne sais quoi, pourquoi ne pas proposer un référendum au niveau européen en demandant aux électeurs de classer par ordre de préférence les thèmes que l’Europe devrait traiter en priorité à son niveau. Par exemple classer 10 thèmes comme la défense européenne, la protection de l’environnement, le chômage, la fiscalité, la politique étrangère, la qualité de vie, etc.. Ces sujets seraient ensuite prioritaires pour les institutions européennes.
      Cela éviterait que le référendum soit dévoyé comme souvent vers des sujets nationaux.
      Cela redonnerait un souffle à la démocratie européenne et permettrait des débats à l’échelle de l’Europe, dont l’absence est une des raisons majeures de l’euroscepticisme. Il me semble que ça redonnerait une conscience de ce qui nous rassemble au niveau européen.
      Cela permettrait aussi de respecter le principe de subsidiarité fondateur de l’UE et pilier de la pensée sociale de l’Église.

  4. VIGNON

    Cher François,
    D’accord avec votre idée. Ne nous arrêtons pas pour l’instant aux modalités de réalisation. Le mot « référendum » n’est pas toujours bien compris partout en Europe. En revanche l’idée d’une consultation populaire menée simultanément et sur les m^mes bases dans tous les pays , au moins chez certains d’entre eux initiateurs de la démarche a beaucoup d’avantage . Elle inverserait la logique descendante qui a montré tous ses inconvénients et ouvrirait la voie à un débat ouvert à tous , sur les finalités essentielles .
    Je signale la proposition très avancée de Pierre Calame sur le mode d’une « assemblée instituante européenne » , fondée sur l’organisation de consultations régionales ouvertes et donnant lieu à un rapport destiné au Conseil européen et qui se situe dans votre ligne.
    Je pense que la société civile en France et en Europe devrait soutenir de telles initiatives à l’occasion de l’anniversaire du Traité de Rome

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