Perturbateurs endocriniens, communication perturbée

Par Jérôme Vignon

Chroniqueuse au Monde, Pascale Ducourtrieux déplorait le 9 mars que « l’on parle si peu d’Europe en France ou en termes si caricaturaux … ». Même si la formule semble étrange de la part d’une journaliste, elle n’en est pas moins juste et traduit l’anxiété qui entoure désormais la parole sur l’Europe dans notre pays. Un récent exemple donne à le méditer.

Mardi 28 février, l’émission des matins de France Culture évoque une décision (ou un vote, on ne comprend pas trop)  de la Commission européenne conduisant à retenir des critères laxistes de sélection pour la prohibition des fameux perturbateurs endocriniens[1], sous la pression des pays et/ou des lobbies producteurs (là aussi ce n’est pas bien clair). Haro sur la Commission européenne qui cède aux puissants, au détriment du bien public. Le lendemain, mercredi, on apprend toujours sur France culture que la Commission européenne en définitive n’a pas pris de décision sur les dits critères et que la phase d’indétermination dénoncée par plusieurs Etats dont la France et la Suède se prolonge. Haro sur cette Commission incapable de trancher sur un sujet majeur de santé publique.

Essayant de décrypter, terme en vogue, ce qui a pu se passer, on découvre d’abord que mardi la Commission n’avait pris aucune décision, et pour cause, elle se réunit comme chaque semaine le mercredi  et les révélations de France Culture n’étaient qu’une fuite prématurée, qui s’est avérée inexacte. En fait le « Collège des Commissaires «  a bien décidé en réunion de s’abstenir de prendre position, au risque de faillir aux responsabilités qui lui incombent[2]. Était-ce la conséquence d’une division du Collège, reflétant l’impact des influences nationales contradictoires qui s’y exercent en dépit de l’indépendance de principe de ses membres vis-à-vis des Etats qui ont proposé leur désignation ?

Renseignement pris à la source, telle n’est pas la bonne interprétation. Le Collège aurait pu prendre position car il disposait  d’une majorité de principe. Sur de pareils sujets, il ne peut d’ailleurs y avoir que des compromis conduits à évoluer au cours du temps et à être affinés par le processus de la « Co décision »[3] entre Conseil et Parlement. Le refus était en fait d’ordre politique. La Commission a estimé, dans l’esprit du Livre blanc sur le futur de l’Europe[4], que l’heure était venue pour les  Etats de prendre leur responsabilité : qu’il s’agisse de l’avenir institutionnel de l’UE ou d’un sujet aussi important  que celui des perturbateurs endocriniens comportant des enjeux lourds et contradictoires pour l’emploi et le bien être des citoyens. Il faut savoir, en effet, (mais ce savoir là est-il encore sous les radars de la presse ?) que la Commission pour ce type de décision consulte toujours  préalablement un comité  constitué des administrations nationales compétentes[5]. Ce comité a  jusqu’à présent été incapable de donner une opinion sur la question… L’abstention délibérée, en retour, de la Commission, signifiait  son refus d’endosser une fois encore, le rôle du bouc émissaire.

La non décision sur les perturbateurs endocriniens est formellement  une faute de la Commission, pour laquelle elle encourt une condamnation de la Cour Européenne de Justice de Luxembourg. Mais c’est aussi et surtout un signe supplémentaire du moment historique de bascule où nous nous trouvons. De nouveau pourrait –on dire, mais  avec une certaine gravité, c’est aux Etats, c’est-à-dire aux responsables politiques que nous allons bientôt désigner, de décider si nous voulons encore être Européens, pourquoi et comment.

 

Jérôme Vignon,

Président d’honneur des Semaines sociales de France,
Ancien haut-fonctionnaire de la Commission de Bruxelles

[1] Pour la définition et les risques attachés à ces substances chimiques voir www.inrs.fr/risques/perturbateurs-endocriniens.html

[2] La Commission européenne ne légifère pas. Dotée du monopole d’initiative, elle adopte des propositions de textes qui seront ensuite soumis après négociations contradictoires, à l’adoption par le conseil des ministres et par le Parlement européen et deviendront alors exécutoires.

[3] La négociation entre le Conseil des ministres et le Parlement européen obéit à une procédure encadrée, appelée co-décision.

[4] Communication de la Commission sur l’avenir de l’Europe, adoptée le 1mars 2017 et comportant 5 scénarios en vue du débat du Conseil Européen du 8 mars.

[5] Comité permanent sur les plantes, les animaux, l’alimentation et la nourriture, prévu par la règlementation européenne sur les pesticides , complété par un comité consultatif sur les biocides .

4 Commentaires

  1. CLAVIER

    « On retombe sur le point de savoir si « consensus » et « compromis » ont, ou non, le même sens. Pour ma part, j’en fais une, qui est d’importance.
    L’ISO (organisation internationale de normalisation) donne du consensus la définition suivante : « Un accord général caractérisé par l’absence d’opposition substantielle émanant d’une partie prenante importante et par un processus de recherche de prise en considération des vues de toutes les parties concernées et de rapprochement des positions divergentes éventuelles ». Cela implique que toutes les parties prenantes s’y retrouvent quelle que soit la partie du texte pour laquelle un « rapprochement » a eu lieu.
    Au contraire, dans un compromis, chaque partie prenante cherche à faire en sorte que tel point qu’elle défend (auquel elle accorde de l’importance) figure dans le texte, en acceptant qu’à d’autres endroits ce qui est retenu dans le texte n’ait pas son accord, mais il y a eu un donnant/donnant.
    Un consensus est donc plus exigeant qu’un compromis, si ce n’est que l’obtention d’un consensus conduit souvent à ne pas parler de ce qui fâche (les points sur lesquels aucun « rapprochement » n’a été possible). »
    Quand la forme de l’action collective est non concertée, la forme de la règle est une convention commune ; quand la forme de l’action collective est concertée, la forme de la règle est une convention collective.
    Lorsqu’une convention collective est étendue par la puissance publique, elle change de statut ; elle ne relève plus de la Convention mais du Droit, des Règles de Droit (lois et
    Common law jurisprudentiel). Le Droit se présente donc en modernité comme l’instrument qui permet de surmonter les tensions et conflits qui naissent de la pluralité des valeurs de référence dans l’espace public.
    Les règles de Droit ne se situent pas au même niveau que les conventions. Elles les dominent. Pour autant, beaucoup de conventions publiques sont partie prenante de cette mise en ordre. On ne comprend rien au fonctionnement d’une société moderne si on laisse de côté les conventions.
    Une nouvelle catégorie qualifiée de Soft law (Droit doux) se situe entre la convention collective et le Droit et cette nouvelle catégorie fleurit en matière de Droit international dans le cours de la mondialisation.
    (Bernard Billaudot – Forum d’Alternatives Économiques)

  2. DE SOULTRAIT Benoît

    En premier merci à Jérôme Vignon d’avoir éclairé le processus de décision et les rôles respectifs de la commission, du Conseil des ministres et du parlement de l’ Union Européenne sur un tel sujet; celui des perturbateurs endocriniens
    Si j’ai bien compris les journalistes de France Culture ont réagi sur le vif sans se renseigner sur la décision puis la non décision de la commission et sans savoir que la commission n’avait pas le pouvoir de décision mais seulement celui de soumission d’ un texte à la décision du conseil des ministres et du parlement .
    Probablement les journalistes ne connaissaient non plus les raisons politiques de la commission de ne pas se mettre d’accord, pour des raisons politiques, sur une proposition à transmettre au conseil des ministres et au parlement.
    La déficience voulue ou non de la communication est évidente de la part des journalistes de France Culture mais aussi de la commission. A t’elle un service de communication?
    Dans le fond, compte tenu de la paralysie décisionnaire d’une Union Européenne de 27 pays ne serait-il pas plus sage, pour ce genre de question, de laisser chacun des pays décider de la solution à adopter? Le principe de l’Union Européenne n’est pas à mettre en cause, son fonctionnement si.

  3. François PERRET

    Je vais me faire partiellement le contradicteur de Jérôme Vignon
    Je suis complètement d’accord sur le regret qu’on parle si peu et si mal d’Europe en France, mais je ne suis pas d’accord sur l’exemple qu’il a pris.
    En effet, j’ai suivi quant à moi le conseil relatif à la préparation de la session en lisant le livre de Védrine. Je suis d’accord avec sa proposition de processus de refondation de l’édifice en commençant par la mise en place d’une « commission de la hache » ayant pour mission d’élaguer dans le « fouillis » européen. Je pense que cette opération devrait être menée en poursuivant trois objectifs fondateurs:
    – Plus jamais çà; ce qui renvoie à tout ce qui contribue à une meilleure connaissance les uns des autres en Europe
    – Respecter la subsidiarité
    – Renforcer la stature internationale de l’UE.
    Si on s’en tient là, il y a beaucoup à élaguer et à renvoyer aux Etats membres. On pourrait commencer par les perturbateurs endocriniens; on pourrait même peut être mettre tout REACH dans le même paquet !!

  4. VIGNON

    Je me réjouis de ces trois commentaires complémentaires .
    A Clavier il convient de préciser que ce dont on parle avec une proposition d’Acte fixant les critères de sélection des substances déclarées dangereuses (à proscrire en raison de leurs effet sur les fonctionnement hormonaux ), c’est de la hard law et non du droit mou , et pour cause . En l’espèce le processus qui devrait permettre au Conseil des ministres d’adopter un acte est de la famille des compromis et non des consensus car les intéréts nationaux sont clairement distincts et parfois opposés .
    .
    A Bernard Soultrait , je mentionnerais qu’il est déjà arrivé , dans le domaine des cultures OGM , que la Commission laisse la possibilité aux Etats de légiférer indépendamment les uns des autres. Cela comporte beaucoup d’inconvénients , car les OGM ne connaissent pas vraiment de frontières et cela montre à contrario que lorsque des enjeux de santé publique sont présents, il faut légiférer clairement . C’est ce que les membres de l’UE parviennent heureusement à faire le plus souvent . Par contraste , le processus de libéralisation des échanges transnationaux extra européen en cas d’obstacles non tarifaires (normes de santé /sécurité) est beaucoup plus lourd, puisqu’il faut dans chaque négociation bilatérale s’entendre au cas par cas,y compris sur l’instance de règlement des différends . On a vu dans les exemples du CETA et du TTIP que ce n’était pas évident . Ce que j’ai voulu souligner , c’est que nous sommes en situation critique où des gestes politiques sont nécessaires de la part des Etats .
    Le livre de Védrine va dans ce sens, mais de manière caricaturale à mon sens .Sur le point cité (commission de la hâche, un processus plusieurs fois appliqué sans grand résultat) l’idée est bonne, mais trop générale : il faut certes essayer de rendre aux Etats autant que possible une liberté réglementaire , sans pour autant renoncer au marché intérieur et à son principe d’unification ver le haut (article 100 du traité de l’acte Unique ) . Or le principe de subsidiarité es déjà à l’oeuvre … Le Conseil Européen devrait donc initier une démarche politique et confier , en l’état actuel des traités , à un organe indépendant où les différents intérèts économiques et sociaux sont représentés (CESE) le soin de dire comment allèger et faire mieux .
    J’ai cependant des doutes que l’on puisse aller très loin . Le « fouillis » réglementaire européen est en grande part le résultat de la complexité inhérente aux matières traitées et non à la machinerie administrative . Sous cet angle , renoncer à Reach par exemple sera perçu par les partisans d’un développement durable à long terme comme une catastrophe et entraînerait de la part de certains pays des demandes de clause de sauvegarde dont la multiplication revient à renoncer à un marché commun. Ce serait aussi perdre une protection réglementaire à l’égard des importations extra européennes de produits chimiques.
    Méfions nous des apparences de la simplicité; ce qui ne veut pas dire que le livre de Vedrine n’ait pas d’autres mérites , comme celui d’en appeler à une délibération citoyenne dans les divers pays , préalablement à une relance politique .

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